samedi 20 décembre 2008

Erik Sablé - Epanouir la fleur de l'intériorité...

Erik Sablé décrit avec grande simplicité ce qu'est le mental, comment le comprendre et savoir ce qu'il est. Il nous amène à entrer dans l'intimité des mécanismes du " moi " à l'origine du flux des pensées errantes et à découvrir ce qui se joue derrière les apparences en démystifiant le jeu du mental. Qu'est-il ? D'où vient-il ? Que cherche-t-il ? De cette exploration et clairvoyance, pourra naître un silence qui n'est pas le produit d'une tension, mais qui vient naturellement de l'intérieur, comme une " grâce ".


En réalité, il s'agit d'effectuer une prise de conscience «sur le vif» des mécanismes du moi, et pour cela d'ouvrir ses sens intérieurs pour explorer les multiples nuances de la pensée, des sentiments, des sensations ; d'épanouir la fleur de l'intériorité ordinairement voilée par les préoccupations quotidiennes.
C'est un peu ce que préconisait le Bouddha, mais nous avons notre propre chemin à faire, libre et nu, loin de toute emprise religieuse, même la plus noble.

Nous sommes dans notre petit laboratoire intime. Pour cela pas besoin d'instruments compliqués. Notre attention suffit. Tout est là, immédiatement présent. Nous sommes installés dans un certain état de recueillement, de Présence à soi, de silence. Car, paradoxalement, c'est le silence qui permet de saisir en profondeur le «bruit» des pensées. Elles se révèlent «par contraste», en quelque sorte, comme des vagues de cette eau paisible qui nous enveloppe lorsque nous sommes établis dans un certain silence.

Tout est dualité dans le devenir : la lumière se détermine toujours par rapport à l'ombre, et le mental révèle son fonctionnement lorsqu'il apparaît sur le fond silencieux de l'être immobile. C'est ainsi que pourront se révéler les secrets de la pensée. C'est seulement une fois établit dans le silence et le vide que l'on pourra comprendre le «moi».
C'est d'ailleurs pour cela que les psychologues occidentaux demeurent toujours à la surface et ne peuvent avoir une vision juste des mécanismes qui se jouent dans les profondeurs de la psyché. Il leur manque cette distance, ce «point d'appui», intérieur, ce fond de silence.

Ce recueillement et cette distance naissent et se développent par l'attention au souffle. C'est-à-dire en prenant conscience du parcours de la respiration à travers le corps. L'esprit se pose sur le souffle, tout en demeurant présent, centré, recueilli au coeur de lui-même, et la pensée se trouve rejetée à la périphérie. Elle devient un épiphénomène se jouant à l'extérieur, sans que le «je» de la Présence soit emporté.

Par l'attention au souffle, un espace de silence se développe et le «moi» peut maintenant être observé de la même manière qu'on observe une table ou une chaise. Le moi est «objectivé», posé à l'extérieur, comme on pose un objet pour le percevoir et en comprendre le mécanisme.
En fait, il se produit un curieux dédoublement du regard. Nous sommes conscients de ce fond de Présence et en même temps des pensées qui émergent et se déploient dans l'espace mental. C'est une subtile division entre la part témoin qui observe et celle observée. Car, en apparence du moins, il existe bien deux formes de conscience. D'une part la Pure Présence d'être, lumineuse et claire ; d'autres part, la conscience égotique, intrinsèquement liée aux modifications mentales. Et c'est en s'appuyant sur la première que l'on peut prendre suffisamment de distance avec la «seconde» pour la connaître.

Il est donc nécessaire, à la fois, de ne pas se laisser emporter par le flux de l'agitation mentale, sans être, cependant, complètement absorbé dans des états d'intériorisations, ce qui nous empêcherait de percevoir le jeu des pensées. Nous devons toujours «maintenir la distance» qui rend possible la pratique de notre investigation. «Si la conscience-témoin qui examine est trop forte, la conscience "moi" disparaît».

Les états de concentration ou l'esprit est focalisé, centré, conduisent à l'absorption du Samadhi. Mais la vigilance nécessaire pour percevoir les mécanismes du «moi» est très différente. C'est un état d'attention globale, non centré, ou la conscience est simplement présente à elle même, sans être fixée sur rien de particulier, attentive aux pensées et aux émotions qui surgissent sans les juger, sans les accompagner, en demeurant simplement en retrait.

Peu à peu, nous saisissons de plus en plus clairement ce qu'est le «moi». Il se profile à la surface des pensées et se révèle étroitement lié au flux mental. Il ne se laisse pas facilement percevoir, mais on peut réussir à le repérer et tenter de l'isoler du mouvement des pensées auquel il est intimement lié.

En fait cette perception du «moi» n'est pas possible au moment même ou se produit l'identification, lorsque la conscience n'est plus présente à elle-même, mais immédiatement après, nous pouvons prendre le recul nécessaire et nous remémorer la pensée passée. Nous pourrons alors saisir intuitivement ce qu'est le «moi», le «je» individuel.
Nous verrons notamment que le «moi» n'a pas d'existence «en soi», en dehors des pensées. Dès qu'on tente de l'isoler, il se dissipe «comme un rêve au réveil», « une bulle illusoire», un fantôme. Plus précisément, il apparaît comme un «effet de perspective», un pli de sa psyché sans réalité véritable. Cette prise de conscience sera déjà un grand pas dans la découverte de son fonctionnement, de son rôle dans l'alimentation des pensées.


Erik Sablé - Les mécanismes du Moi et le silence intérieur - Editions Devy