samedi 31 décembre 2011


L’an pointera enfin son nez dans le coin
entre la mi-nuit et le jour à peine né
Ainsi réunie l’an-née pourra s’épanouir
dans le joyeux décompte de son impermanence.

La délicatesse du passage sonnera la cadence
et donnera le pas
L’inconnu tiendra encore le fils
et s’harmonisera comme de bien entendu
Avec l’ordinaire et toutes nos histoires bien entretenues.

Émerveillés par la magie fugace et trépidante de son tour du monde
Nous contemplerons comme si c’était toujours la première fois
Le chariot flamboyant des 2012 étoiles invitées à danser …
Dans la ronde tout en mystère de chaque instant à vivre.


vendredi 30 décembre 2011

Bertrand Vergely - Le lien à la vie fondamentale qui vit en nous

Que cet extrait du texte de Bertrand Vergely, philosophe, puisse soutenir tous les chercheurs en chemin, pour accéder encore et encore à la profondeur de l'être et déployer la paix.


Tout être humain a des racines ontologiques et pas seulement terrestres. Il ne le comprend qu'en prenant conscience que pour être lui même, il faut être, tout court.

Etre veut dire que l'on accepte de recevoir en soi la source de toute vie, dont la sienne, en se laissant habiter par cette source. Celle ci n'est pas seulement ce courant de vie récapitulant toute l'évolution. Elle va au delà de ce courant, dans les profondeurs de l'origine, qui relève d'un immense amour pour la vie et les hommes.

La plongée en soi même révèle l'être des profondeurs. En le faisant surgir, elle fait monter une immense paix. Pour soi, pour le monde. Paix de savoir qu'existe une vie plus profonde que les apparences. Paix de se sentir vivre pour la première fois, de découvrir que cette paix parle aux autres. Comme si le monde l'attendait secrètement, et s'il était heureux de pouvoir se dire : "Enfin, un homme en paix."

C'est en appelant à exister la profondeur de soi qu'on la fait apparaître. Cela s'appelle prier ou méditer. En se liant d'une façon fondamentale à la vie fondamentale qui vit en soi, on transforme non seulement sa vie, mais le monde.


Bertrand Vergely - La foi ou la nostalgie de l'admirable - Editions Albin Michel



lundi 19 décembre 2011

Bertrand Vergely - La foi lumineuse, l'intelligence viviviante



L'esprit n'est pas abstrait, pas intellectuel non plus. Il est intelligence et pénétration. Il fait la lumière sur tout ce qui existe. Mais il y a davantage en lui. Il est aussi énergie. C'est elle qui incite à penser et à agir. Ce qui est une autre façon d'être lumineux. Dans une situation qui paraît une impasse, ayons l'idée d'avoir une idée et d'agir, le cours des choses se transforme. Cette idée donne le courage de vivre, avant de donner des idées et des réponses.

Il existe deux lumières au sein de l'esprit.
L'une est la lumière de la foi, l'autre la lumière de l'intelligence. Si la seconde est la pleine manifestation de l'esprit, révélant toutes choses et tout être, la première est la source de tout esprit, sous la forme de l'énergie nécessaire à toute intelligence. Ces deux lumières sont inséparables l'une de l'autre. Grâce à leur concours réciproque, l'esprit est véritablement infini. Car la symbolique de la double face signifie que rien n'est unilatéral. Rien n'est refermé sur lui-même. Et l'expérience le prouve abondamment.

Qu'une intelligence cesse d'être soutenue par une foi, celle-ci n'est plus lumineuse, mais triste, capable d'analyser le monde, mais non de le transformer afin de le faire vivre pour aller de l'avant. Qu'une foi, à l'inverse, cesse de se manifester dans une intelligence, celle-ci n'est bientôt plus qu'un élan vidé de substance.

On critique l'intelligence desséchée. Et l'on a raison. On critique la foi aveugle. Et l'on a également raison. Car une authentique culture de l'esprit a besoin des deux. De l'intelligence, afin que la foi devienne lumineuse. Mais aussi de la foi, afin que l'intelligence devienne vivifiante. Il importe donc de lui rendre la place qui lui revient.


Bertrand Vergely - La foi ou la nostalgie de l'admirable - Editions Albin Michel



vendredi 9 décembre 2011

Karlfried Graf Durckheim - L'ombre et la lumière



Toujours l'ombre et la lumière vont de pair.

La Mère, compagne d'Aurobindo, insiste auprès de ses disciples pour dire : « Si vous découvrez une ombre très épaisse et très profonde, soyez sûr, quelque part en vous, d'une grande lumière. A vous de savoir utiliser l'une pour réaliser l’autre. C'est la moitié obscure de la Vérité » précise Aurobindo.

En Extrême-Orient, ce thème est bien connu : au centre de toutes nos ténèbres il y a un soleil ; au cœur de nos maux, il est un mystère inverse, chaque élément aussi obscur qu'il soit. Même l'erreur la plus grotesque, contient des abîmes de vérité. Le tout c'est de passer de l'un à l'autre ... et tous les yogas s'y évertuent.

Dans le christianisme ce passage, cette Pâque prend la figure de la croix, mais - on l'a parfois trop oublié en Occident, - de la croix transfigurée. L'acceptation libre de la mort ouvre sur la résurrection, les deux sont indissociables.


Toutes les traditions initiatiques en parlent, la réalisation de l'être passe toujours à travers une mort. Mais seul est capable de parler de la vie, de donner la vie et d'enseigner la vie, celui qui sait quelque chose de la mort et qui en a une certaine expérience. Mourir implique toutes les morts dans notre vie quotidienne : chaque perte qu'on accepte, chaque lien qui se brise ou qu'il faut briser, chaque renoncement choisi ou imposé et mille autres manières ... C'est toute une éducation, une ascèse qui est à la base de ce développement, de ce chemin initiatique.


Karlfried Graf Durckheim - Dialogue sur le chemin initiatique - Editions Albin Michel


dimanche 13 novembre 2011

Rumi - La Maison d’hôtes


Etre humain, c’est être une maison d'hôtes.
Tous les matins arrive un nouvel invité.

Une joie, une dépression, une méchanceté,
une prise de conscience momentanée vient

comme un visiteur inattendu.

Accueillez les tous et prenez-en soin!
Même s'ils sont une foule de chagrins,
qui balaient violemment votre maison
et la vident de tous ses meubles,
traitez chaque invité honorablement.
Peut-être vient-il faire de la place en vous
pour de nouveaux délices.

La pensée sombre, la honte, la malice,
rencontrez-les à la porte en riant,
et invitez-les à entrer.

Soyez reconnaissants pour tous ceux qui viennent,
parce que chacun a été envoyé
comme un guide de l’au-delà.

~ ~ Rumi ~ ~

(Traduit par Deborah Bacon,
selon la version de Coleman Barks, The Essential Rumi)



lundi 7 novembre 2011

Marshall B. Rosenberg - Ce possible lien d'écoute avec l'énergie divine de l'autre -

Marshall B. Rosenberg est le fondateur de la Communication Non Violente. Il parcourt le monde pour promouvoir la paix et proposer sa médiation dans des situations de conflit. Il est auteur et a publié plusieurs ouvrages.
L'extrait de ce livre nous invite à découvrir les fondements spirituels de la CNV. Au delà de la manière un peu didactique des formulations, il est à noter combien l'essentiel reste dans la reconnaissance du possible lien à créer avec l'énergie divine de l'autre : comment se mettre à l'écoute de ses sentiments et de ses besoins à l'instant même où le dialogue se passe.


Je travaillais dans un camp de réfugiés situé dans un pays qui n'appréciait pas beaucoup les ÉtatsUnis. Lorsque mon interprète annonça que j'étais américain - devant une assemblée d'environ cent soixante-dix personnes -, un homme se leva d'un bond et me cria au visage: « Assassin! »

Ce jour-là, je me félicitai de connaître la Communication Non Violente. Grâce à elle, je pus voir la beauté derrière le message de cet homme, ce qu'il y avait de vivant et d'humain en lui.
La Communication Non Violente nous permet d'entendre les sentiments et les besoins qui se cachent derrière tout message, quel qu'il soit.

Je lui dis alors: « Êtes-vous furieux parce que mon pays ne comble pas votre besoin de soutien? »

Pour en arriver à m'exprimer ainsi, il fallait que j'essaie de me relier à ses sentiments et à ses besoins. J'aurais pu me tromper. Mais même si nous nous trompons, le simple fait de tenter sincèrement d'entrer en lien avec l'énergie divine de l'autre - c'est-à-dire avec ses sentiments et ses besoins à cet instant - lui montre que, quelle que soit la manière dont il s'exprime, notre attention est tournée vers ce qui est vivant en lui. Et lorsque l'autre a cette confiance, nous sommes bien partis pour établir un lien qui permettra de satisfaire les besoins de chacun.

Dans mon exemple, cela ne s'est pas produit tout de suite, car l'homme était dans une grande souffrance.

Il se fait que j'étais tombé sur le bon besoin, car il me répondit: « Et comment! » et ajouta « Nous n'avons pas d'égouts. Nous n'avons pas de logements. Pourquoi nous envoyez-vous des armes? »

Je lui répondis: « Monsieur, si j'entends bien, vous dites que vous avez besoin d'égouts et de logements, et que cela vous fait mal que l'on vous envoie des armes à la place. » « Évidemment! » me dit-il, « Savez-vous ce que cela représente de vivre ainsi pendant 28 ans? » « Monsieur, vous dites que c'est vraiment pénible et que vous avez besoin de compréhension pour les conditions dans lesquelles vous vivez. »

Une heure plus tard, cet homme m'invita chez lui à manger le repas du Ramadan.


Marshall B. Rosenberg -Spiritualité pratique de la Communication Non Violente - Editions Jouvence -


samedi 29 octobre 2011



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Une voix douce s'élève du fin fond de l'immensité
"Viens " dit-elle à l'âme.
Comment l'âme ne pourrait elle pas alors se mouvoir ?

Hors de l'eau, comment un poisson pourrait il rester immobile ?
En entendant le bruit des vagues qui bercent la mer calme,
le poisson ne peut que sauter pour rejoindre l'eau.


Extrait d'un texte de Rumi


lundi 26 septembre 2011

Peter Fenner - Expérience de la conscience inconditionnée

Peter Fenner est américain, Docteur en philosophie. Il a étudié et pratiqué le Bouddhisme tibétain auprès de nombreux maitres. Il enseigne aux Etats-Unis un cursus nommé "Radiant Mind". Il est l'auteur de nombreux ouvrages dont certains sont traduits en français.


Notre esprit conditionné nous dit qu'il y a toujours plus loin où aller.
En tant qu'êtres humains, nous explorons une multitude de moyens pour atteindre cette plénitude, mais la seule expérience qui puisse satisfaire tous nos besoins est celle de la conscience inconditionnée.

Pourquoi ? Parce que lorsque nous reposons dans la conscience inconditionnée, nous n'avons plus besoin de quoi que ce soit. Nous sommes parfaits et accomplis exactement tels que nous sommes. Nous n'avons pas besoin de nous débattre de certaines pensées ou émotions, ni de changer nos conditions de vie de quelque façon que ce soit. Pensées, sentiments et perceptions surviennent mais ne nous conditionnent plus. Aussi extraordinaire qu'elle puisse paraître, la conscience inconditionnée n'est pourtant pas éloignée de notre quotidien ; elle nous est toujours parfaitement disponible. Grâce à l’expérience de la conscience inconditionnée, nous pouvons connaître un accomplissement total au sein de notre existence conditionnée.

Dans cette expérience, nous abordons notre quête de cette plénitude profonde selon une perspective non-duelle. Qu'est-ce que cela signifie? Cela signifie que la liberté ou la libération n'est pas un état qui existerait en opposition avec le sentiment d'être prisonnier ou coincé dans nos vies.
En fait, il n'est en opposition avec rien. C'est un niveau d'expérience qui coexiste avec tout. Cet état de conscience inconditionnée non-duel ne peut exclure les pensées, les sensations et les perceptions parce qu'il inclut tout ce qui est, et il n'est ainsi pas séparé de notre existence dualiste quotidienne.
Cette qualité non-duelle renferme inévitablement le paradoxe suivant: une chose peut être à la fois vraie et fausse, bonne et mauvaise, présente et absente. Contrairement à l'expérience du mental conditionné, l'expérience de la conscience inconditionnée nous permet de demeurer paisibles et tranquilles au sein du paradoxe et de l'ambiguïté. Notre tendance à préférer l'ordre, la structure, les catégories et les concepts s'efface lorsque nous sommes établis dans cette conscience non-duelle.

La plupart d'entre nous fonctionnons le plus souvent, pour ne pas dire constamment, à partir du mental conditionné. C'est le mental qui fait l'expérience du manque et qui cherche des solutions, des remèdes et des stratégies pour résoudre ses problèmes. Le mental conditionné fonctionne entièrement à partir des préférences, des attirances et des aversions. Il cherche à éviter la douleur et à maximiser le plaisir. Le mental conditionné essaie de retenir les expériences qui sont considérées comme « bonnes» et de rejeter les expériences jugées « mauvaises ». Il croit que le bonheur résulte de l'alignement de nos expériences sur nos préférences. Quand nos expériences et nos préférences ne coïncident pas, nous prenons cela comme un problème que le mental conditionné tente de résoudre en élaborant une stratégie, ce qui nous pousse habituellement à changer notre situation, notre façon de penser, nos émotions, nos relations ou nos conditions matérielles. Nous éprouvons alors un soulagement momentané par rapport à ce problème, mais nous avons tellement l'habitude de juger nos expériences d'après nos préférences que nous sommes très rapidement confrontés au fait d'avoir à résoudre un nouveau problème.

En Occident, si nous réalisons que nos pensées se contredisent, nous sommes embarrassés et craignons de manquer de clarté ou de rationalité. En Orient, le paradoxe est bienvenu parce qu'il montre au mental ses propres limites, ce qui offre la possibilité d'expérimenter ce qui se trouve au-delà du courant mental conventionnel. Les voies mystiques orientales évoluent avec aisance dans ce domaine paradoxal, sans le moindre embarras ni la moindre difficulté. L'expérience leur montre que la conscience inconditionnée peut seulement être décrite par le paradoxe et la contradiction.

Lorsque nous sommes établis dans la conscience inconditionnée, notre conditionnement (âge, sexe, histoire, éducation, condition physique et situation financière) ne nous limite plus. Nous sommes intimement reliés à tout ce qui est en nous et autour de nous, et cependant nous sommes hors de portée de toute perturbation. Nous transcendons la souffrance, non pas parce que nos problèmes sont résolus mais parce que nous expérimentons un niveau de conscience dans lequel rien ne manque, un état d'être qui ne dépend ni des conditions de notre mental, ni de notre corps, ni de la situation que nous vivons.

L'expérience de la conscience inconditionnée nous fait sortir du cycle des réponses et émotions réactives en nous reliant à la nature même de notre mental en tant que pure conscience, sans contenu, non structurée. Nous retrouvons ce que nous sommes d'une façon totalement naturelle et détendue. Dans la tradition Vajrayana du bouddhisme, cette expérience est appelée l'invincibilité ou l'indestructibilité. Tout en acceptant pleinement notre existence finie et conditionnée, nous sommes établis dans un niveau de conscience qui ne peut pas être altéré ni amoindri par la présence d'une pensée, d'une émotion ou d'une sensation quelconque.


Peter Fenner - L'Esprit lumineux - Editions Almora


Fin septembre ?


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Fin septembre ?
N'est-il pas temps de reprendre la plume virtuelle
pour continuer à donner à découvrir
la lecture d'extraits d'écriture soutenante au cheminement évolutif ?

Les temps de latence ne sont-ils pas ceux aussi
de la maturation et de l'expérience ?

Même si le rythme de mise en ligne des textes s'est ralenti,
le désir de maintenir cette opportunité de partage reste neuf et constant.

Et continuons à élargir notre regard,
à déployer notre écoute, à enrichir notre curiosité ...

Christiane


lundi 1 août 2011

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Jean Yves Leloup - Vivre sans pourquoi de Maitre Eckhart


Celui qui s'est laissé lui-même n'a plus en lui de lien pour l'attacher aux choses et ce détachement total se révèle être la condition même pour que le monde, les choses, les personnes nous apparaissent tels qu'ils sont, dans leur «essentiel déploiement» selon l'expression d'Heidegger.

Maître Eckhart nous invite à nous mouvoir autrement au milieu de ce qui nous entoure, sans volonté de puissance ou de possession : sans ego. Lâcher prise, laisser être ce qui est, tel que cela est, ce n'est pas une attitude passive ou indifférente au sens ordinaire, c'est refuser de faire de toute chose un « avoir », un objet. C'est restituer le monde à son essentielle liberté et nous ouvrir à la possibilité d'«être avec», sans le dominer, sans le posséder.
Le regard délivré de désirs et d'interprétations devient voyant; il perçoit les êtres dans leur identité suprême et passagère. Laisser l'autre être l'autre, ne plus l'accabler de désirs ou de conseils mais écouter l'union et la différence.

Laisser être l'oiseau : ne plus prendre son vol. Laisser être la rose : la voir avec des yeux de rosée.

De même qu'il y a en nous un désir de posséder, une recherche légitime de sécurité physique, il y a aussi une volonté de sens, un besoin d'expliquer le monde, de savoir d’où nous venons, où nous sommes, où nous allons, recherche tout aussi légitime de sécurité psychique et intellectuelle. Eckhart, maître en théologie, a souvent répondu de façon positive et rassurante à ses étudiants, mais il lui arrivait de dire aux plus intéressés ou à ceux qui étaient suffisamment préparés pour le comprendre : «L'univers est sans pourquoi. »

« La rose est sans pourquoi, elle fleurit parce qu'elle fleurit. »

À certains moments de notre existence, les bonnes raisons que nous nous donnons de vivre semblent s'écrouler. Accepter le non-sens, l'absurdité de certaines situations ou de la condition humaine en général, c'est entrer dans un sens plus haut, inaccessible à notre logique ordinaire, c'est être délivré du besoin de justifier l'existence par une quelconque idéologie, fût-elle généreuse.
Nos raisons de vivre ne sont que des raisons qui s'originent dans les aventures et mésaventures de l'ego.

Vivre sans pourquoi nous ramène à un autre fondement : le monde pourrait ne pas exister, il est tout entier suspendu à un acte de liberté essentielle dont nul n'a jamais percé le mystère.

Vivre sans pourquoi, c'est ne faire qu'un avec l'existence même, perçue en sa source, c'est adhérer à l'Intelligence créatrice qui informe les réalités psychophysiques et leur donne d'être ce qu'elles sont. Nos explications ou nos représentations risquent toujours de se substituer au Réel.

Vivre dans le sans-pourquoi nous donne de le percevoir en ce qu'il a d'ineffable ; c'est pratiquer la docte ignorance, le «Je sais que je ne sais rien» de Socrate ; c'est être libre à l'égard des schémas et des mémoires dans lesquels le mental obscurcit et enferme le monde.

C'est vivre étonné et « accepter cet étonnement comme séjour ».


Jean Yves Leloup - L'assise et la marche - Editions Albin Michel -


jeudi 28 juillet 2011

Krishnamurti - Voir : nature et beauté de l'observation et de la vision.



Les mots voir et vision chez Krishnamurti sont équivalents. Ecouter, observer, comprendre, prendre conscience de, percevoir ont également le sens de voir, voir complètement et totalement.

Pour Krishnamurti voir est essentiel. Voir est une affaire d'attention. Seule l'inattention donne naissance à un problème. Il est important de comprendre la nature et la beauté de l'observation, de la vision.

Tant que l'esprit est déformé par des impressions, des sentiments frôlant des névroses, par la peur, la tristesse, le souci, la santé, l'ambition, le snobisme, la recherche de puissance, il est incapable d'écouter, d'observer, de voir. C'est un point de connaissance qu'il nous faudrait approfondir. Non seulement verbalement mais intérieurement et profondément.

C'est le programme que préconise Krishnamurti: "Toujours nous voyons les choses partiellement, dit-il. D'abord parce que nous sommes inattentifs, secondement parce que nous les regardons à partir de nos préjugés, d'images verbales et psychologiques accompagnant ce que nous voyons. Jamais nous n'observons quoique ce soit d'une façon complète.

C'est chose ardue que de regarder objectivement même la nature. Regarder une fleur sans qu'il n'y ait aucune image, aucune notion botanique, simplement l'observer. Cela devient assez difficile parce que notre esprit vagabonde et ne s'intéresse à rien. Et même s'il s'intéresse, il contemple la fleur avec certaines appréciations, certaines descriptions verbales qui donnent à l'observateur le sentiment d'avoir vraiment regardé. Regarder de propos délibéré, c'est ne pas regarder. Donc jamais nous ne voyons la fleur, nous la voyons seulement à travers son image."


Cependant il nous est plus facile d'observer quelque chose qui ne nous touche pas profondément. Quant à nous observer nous-mêmes sans l'image, l'image qui est le passé, qui est faite de notre expérience et de notre savoir accumulé, cela ne nous arrive que bien rarement. Nous avons de nous-mêmes une image. Nous nous figurons devoir faire ceci et non cela. Nous avons construit de nous-mêmes une image préconçue et c'est à travers elle que nous nous contemplons. Cette façon de voir les choses n'est pas bien sûr constante.
Krishnamurti nous dit: "Le triomphe du passé, le triomphe du modèle : alors voir devient devoir ou vouloir. N'est-ce pas?
".


Extrait d'un texte sur Krishnamurti - Inconnu - Internet -




lundi 18 juillet 2011


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Roberto Assagioli - La réalisation de Soi

Roberto Assagioli était psychiatre et psychothérapeute (1888-1974). Il a été proche de Freud puis de Jung puis de Maslow. Puis il créa (1926) sa propre méthode, empreinte du mouvement humaniste de la psychologie : la psychosynthèse. S'appuyant sur les niveaux supraconscients, il considère le Soi comme une réalité vivante que l'on peut expérimenter.
Le chapitre du livre dont est extrait ce texte a été écrit entre 1957 et 1959. Aujourd'hui, ses principes constituent encore des bases essentielles pour tout le mouvement de la psychologie transpersonnelle, enrichie par ailleurs de nombreuses autres découvertes et expériences, dont celles du Dr Stanislas Groff.



… Avant tout, il faut avoir une idée claire de ce qu'implique le terme de « réalisation de soi ». On s'en est servi pour indiquer deux espèces d'expansion de conscience qui, bien qu'apparentées, sont d'une nature différente et se manifestent d'une manière dissemblable.

La signification attribuée le plus souvent à ce terme, est celle d'une croissance psychologique, de l'éveil, du développement et de la manifestation des potentialités latentes dans l'être humain, connue, par exemple, dans les expériences religieuses, éthiques ou esthétiques.
Il y a une autre sorte de réalisation, qui est la réalisation du Soi transpersonnel, c'est-à-dire l'expérience et la conscience du centre spirituel. Il s'agit là d'un état de conscience bien supérieur à la conscience de soi du moi personnel (ou « Je
») qui est à considérer comme un « reflet » du Soi spirituel, sa projection dans le champ de la personnalité.

La réalisation de soi peut s'accomplir sur différents niveaux et n'inclut pas nécessairement le niveau transpersonnel. D'autre part, un individu peut avoir des expériences spirituelles authentiques sans avoir une personnalité intégrée, c'est-à-dire sans avoir développé une personnalité harmonieuse et bien structurée. Ceci a été clairement indiqué par Jung qui attire notre attention sur le fait que le développement de la personnalité n'est pas une prérogative de l'homme de génie, et qu'un homme peut être génial sans même avoir, ou être, une « personnalité » constituée.

De plus, l'éveil spirituel et la réalisation transpersonnelle ne sont pas la même chose que la conscience du Soi. Ils embrassent différentes sortes de prise de conscience des contenus du supraconscient, soit qu'ils descendent dans le champ de la conscience, soit qu'ils soient perçus dans le processus d'ascension vers des niveaux supérieurs.

Le supraconscient constitue la partie supérieure de l'inconscient.
Il est cette zone de l'inconscient où résident à l'état latent ou potentiel les énergies supérieures de l'Esprit, les facultés et les pouvoirs supranormaux d'un genre élevé. C’est un aspect de la nature humaine dont le moi n'est pas normalement conscient. Le moi conscient peut s'élever (ou être transporté momentanément) jusqu'à cette région dans laquelle des expériences spécifiques et des états de conscience supérieurs lui seront accessibles.
Ou bien il peut arriver que certains contenus du supraconscient descendent et pénètrent dans le champ de la conscience donnant ainsi lieu à une catégorie spéciale de perceptions appelées couramment «intuitions, illuminations, inspirations
». Cet échange d'énergies a une grande importance et une valeur certaine, en tant que stimulation à la créativité.

On a récemment introduit en psychologie le terme « transpersonnel » pour indiquer ce que couramment l'on désigne comme « spirituel ». Ce premier terme est certainement préférable au point de vue scientifique, car il est plus précis et, dans un certain sens, plus neutre, puisqu'il indique ce qui est au-delà ou au-dessus de la personnalité normale. De plus, il évite bien des confusions avec tant de choses disparates que l'on appelle couramment « spirituelles » mais qui sont en réalité pseudo-spirituelles ou parapsychologiques.

Ainsi le terme « spirituel » est pris dans son acception la plus large, qui comprend non seulement les expériences d'un caractère spécifiquement religieux, mais tous les états de conscience, les fonctions et les activités qui ont comme commun dénominateur la possession de valeurs au-dessus de la moyenne : valeurs éthiques, esthétiques, héroïques, humanitaires et altruistes.
Nous comprenons donc dans l'appellation de « développement spirituel » toutes les expériences qui se rapportent à la conscience des contenus du supraconscient, sans que l'expérience du Soi y soit nécessairement incluse.

Il faut même reconnaître que le fait d'atteindre les niveaux du supraconscient et d'en entreprendre l'exploration, bien que ce soit une approche vers la conscience du Soi, peut quelquefois constituer un obstacle à la pleine réalisation du Soi transpersonnel, à l'atteinte du sommet où la conscience personnelle se fond dans la conscience du Soi spirituel. L'individu peut être tellement fasciné par les merveilles du royaume du supraconscient, si absorbé par elles, si identifié avec certains aspects ou certaines manifestations de ce domaine, que son aspiration vers le sommet de la réalisation spirituelle s'en trouve détournée ou entravée.

Le développement spirituel de l'homme est une aventure longue et ardue, un voyage à travers des pays inconnus, pleins de merveilles, mais aussi de difficultés et de dangers. Il implique une transmutation radicale des éléments « normaux » de la personnalité, l'éveil d'une série de facultés jusque-là inactives, de potentialités latentes, l'élévation de la conscience à des niveaux non encore atteints et son expansion suivant une nouvelle dimension intérieure. Nous ne devons donc pas nous étonner qu'un changement si complet, une transformation si fondamentale, se déroule à travers des stades critiques qui sont souvent accompagnés de troubles nerveux, émotionnels et mentaux.


Roberto Assagioli - Psychosynthèse, principes et techniques - Editions Desclée de Brouwer -


vendredi 15 juillet 2011

Jacques Castermane - Pratiquer la méditation



Nous vivons la plus grande part de notre existence en étant identifié au moi conditionné, l'ego, qui n'a de cesse que d'assurer sa sécurité, son confort, sa santé ; la grande peur du moi étant, bien entendu, la mort.
Cette centration au niveau d'être qu'est l'ego est à l'origine du souci, de l'appréhension, de l'inquiétude, de l'agitation de l'âme, de l'angoisse qui entravent un bien-être quotidien.

A quoi bon méditer ?
Il est « bon » de méditer pour se centrer dans cet autre niveau d'être que le bouddhisme appelle notre vraie nature, que Dürckheim appelle notre être essentiel.

L'exercice de la méditation est la chance de faire l'expérience de cet autre pôle de nous-mêmes. Grâce à l'exercice de la méditation, nous évitons de nous replier sur nous-mêmes et de nous enfermer dans notre propre ego avec le danger d'en faire notre identité.

En pratiquant la méditation, nous apprenons à vivre en relation avec notre être profond, source de notre état de santé fondamental dont les symptômes sont la tranquillité du corps, la sérénité de l'esprit et la paix de l'âme.

Vous en doutez ?
Pour lever le doute, il est un moyen très simple : commencer la pratique méditative et, ce faisant, préparer les conditions qui permettent et favorisent cette expérience.


Jacques Castermane - Editorial de la newsletter du Centre Durckheim à Mirmande (
26) -




vendredi 24 juin 2011

Lytta Basset - L'intimité véritable

Lytta Bassset est écrivaine, professeure de théologie en Suisse


... Il me paraît essentiel, au long du processus de différenciation de ne jamais perdre de vue ce à quoi on aspire en définitive : une relation aimante non seulement viable mais si possible bienfaisante, un rapprochement qui favoriserait un partage déparasité des peurs et des méfiances.

Isabelle Filliozat définit l'amour vrai comme «la capacité à vivre l'intimité. L'intimité est un espace relationnel dans lequel on se permet un échange direct, sans masque, authentique et spontané, d'énergie, de caresses, de sentiments et de pensées. L'intimité implique une grande ouverture et réceptivité à l'autre».

En soulignant la «capacité», je suis attentive au capital que chacun possède et exploite un peu, beaucoup ou énormément. Je ne crois pas qu'on puisse venir au monde sans l'aptitude à vivre l'intimité. Tant qu'on reste sur ses gardes, dans la vie affective, tant qu'on campe dans son quant-à-soi et qu'on se déclare congénitalement incapable de se livrer, on laisse le champ de la différenciation en friche.

De qui ne s'est-on pas suffisamment séparé pour autant redouter la proximité? À l'opposé surgit le risque de se sentir si bien sur son territoire qu'on ne discerne plus rien de commun avec la personne dont on s'est démarqué. Comment trouver maintenant le moyen, voire le désir, de s'en approcher? De refuser le confortable et stérile «vis ta vie, je vis la mienne, restons-en là» ?

Je constate quelque chose de déterminant au sein même de la dynamique de différentiation : plus la distance grandit avec l’être aimé, mieux nous le voyons, tel qu’il est dans son altérité. Plus nous nous réapproprions les blessures et les dysfonctionnements qui nous appartiennent en propre, plus nous devenons sensibles aux siens.
Plus nous nous enracinons dans notre humanité, seuls, délivrés de la redoutable fusion-confusion, plus nous percevons en lui un semblable confronté à sa solitude, sa détresse, son fardeau. Et cela se met à communiquer en silence, même en son absence. La peur de la proximité est alors en train de fondre.

Si le partenariat accentue le lien dans la différenciation, l'intimité, quant à elle, le parachève en l'ancrant dans la similitude. "Os de mes os, chair de ma chair», s'écrit Adam à la vue d'Ève. Il a fallu la coupure, la blessure, le manque. Alors leur saute aux yeux ce qu'ils ont en commun. Et le fait qu'il parle pour la première fois renforce la nécessité de la distance : quand nous nous parlons, n'est-ce pas pour franchir une distance qui pourrait nous séparer à jamais?

Tel est le.grand piège dans la vie de couple : croire que la similitude est une évidence, que l’intimité physique dispense de la parole échangée. "Fais-moi l'amitié de me parler, pourrait-on dire à son conjoint. C'est qu'à cause de la fusion, peu de couples s'aiment d'amitié, selon Guy Corneau. Alors, «nous ne pouvons pas entendre de notre partenaire le quart de ce qu'un ami ou une amie pourrait nous raconter (. .. ) pourtant, un des facteurs qui contribuent le plus à la création de l'intimité véritable s'appelle «l'amitié».
Autre manière de rappeler que le conjoint est d'abord un prochain, à la fois autre et semblable, et que l'échange de paroles est ce pont fragile d'une rive à l'autre de nos altérités.

Nombreuses sont les personnes qui souffrent de «faire l'amour avec un étranger, ou une étrangère». Tant il est vrai que l'intimité physique ne suffit pas en elle-même, que souvent elle fait d'autant plus ressortir le manque désespérant d'intimité véritable.

Je crois possible dans ce cas d'apprendre à écouter le corps d'autrui. Que dit-il par ses gestes - qu'il est incapable de mettre en mots? Langage non verbal de l'amour. Mais aussi langage du tout Autre en lui : son corps ne se révèle t-il pas alors, comme le nôtre, "temple du souffle d'amour" ?


Lytta Basset - Aimer sans dévorer - Editions Albin Michel





vendredi 3 juin 2011

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Alexandre Jollien - La méthode de Houei-neng

Né en 1975 en Suisse, Alexandre Jollien a vécu dix-sept ans dans une institution spécialisée pour personnes handicapées physiques. Il est philosophe et écrivain.


La vie me donne des guides, des maîtres. Longtemps, j'ai cherché .... dans la spiritualité des outils, des armes, une cuirasse pour me protéger du réel, pour moins souffrir. Aujourd'hui, je veux oser le dépouillement, aller nu au-devant de l'existence, ne pas me couper du fond du fond où réside la joie.

Cette conversion, sans cesse menacée, Houei-neng (638-713), le sixième patriarche du bouddhisme chinois (bouddhisme chan), m'invite à l'ancrer dans chaque instant. Dans le Sutra de L'Estrade, il m'apprend que « l'esprit humain n'est pas la pensée, mais le vide et la paix qui forment le fond et la source de toute pensée ».

Ainsi, cette agitation, cette anxiété qui aujourd'hui me hantent, ne sont pas mon essence propre. Provisoires, elles passeront. La souplesse de l'esprit, son calme, voilà mon origine première.

Grâce à Houei-neng, je devine combien de fois dans la journée je m'exile. La colère, la jalousie, le chagrin, autant de passions tristes m'arrachent à moi-même, me coupent de cette joie profonde. Dès lors, l'ascèse consiste à retrouver cet état naturel que je quitte quand je vis en surface, loin de mes origines. Comment suivre mon nouveau guide?

Orphelin de père, Houei-neng doit ramasser du bois et le vendre pour subvenir aux besoins de sa famille. Illettré, c'est en entendant un passage du Sûtra du Diamant qu'il aurait atteint l’Eveil. Il entre alors dans un monastère pour effectuer des humbles besognes dans les cuisines, où il demeure six mois. Bientôt remarqué et choisi pour sa pénétration, il devient le dernier patriarche du chan et lègue, dans le Sûtra de l'Estrade, une méthode pour retrouver son essence originelle.

Sa méthode, je m'essaie à l'appliquer à chaque instant: les pensées se succèdent. Jamais elles ne s'arrêtent. Je pense, je pense, je pense. Plutôt que de tenter vainement d'arrêter ce flot incessant, je peux en profiter pour me détacher de tout.
Comme le dit Houei-neng, « dès qu'on s'arrête sur une pensée, le flux de pensées s'arrête aussi, immédiatement, et cela se nomme attachement ». Que mon esprit vagabonde, qu'il connaisse tantôt l'allégresse et tantôt la peur, nul problème. C'est le jeu de la vie. La souffrance apparaît lorsque je me fixe, que je tente de figer ce flot de pensées, que je m'arrête, que je rumine. Combien de fois je ne parviens pas à oser l' abandon et m'arrête sur une idée qui finit par me hanter!

La méthode de Houei-neng? Pratiquer la non-fixation, laisser passer chaque nuage de la pensée sans s'y attacher, sans rejet ni saisie. Cela revient à aller léger au-devant de la vie, sans jamais s'arrêter sur le chemin.

Cela rappelle la spontanéité des grands saints, leur totale adéquation avec l'instant présent. Cela évoque le verset de l'Évangile: « Partout où les gens refuseront de vous accueillir, quittez leur ville et secouez la poussière de vos pieds» (Luc 9, 5). Ici, le Christ témoigne d'une liberté que nulle rancune et nul remord n'entachent, il va son chemin, résolu et libre.

Pour retrouver cet esprit paisible, il n'y a rien à faire, juste se laisser être. L’esprit, par nature, se meut en effet librement. Souple, il épouse la réalité, s'adapte, fait son chemin. La crispation, l'attachement, les peurs surtout, nous pétrifient et nous empêchent d'entrer dans le mouvement de la vie, dans sa danse.

Grâce à Houei-neng, je comprends surtout que le tourbillon effréné de mes pensées m'invite sans cesse au détachement, à épouser la vie corps et âme, à ne m'attarder sur rien, à quitter amertumes et regrets pour savourer chaque instant dans sa nouveauté première, dans sa virginité féconde.


Mai-juin 2010 – Rubrique - Le Monde des religions



lundi 16 mai 2011

Koos Zondervan - La souplesse d'être...

Koos Zondervan est un disciple de Jean Klein. Il enseigne le Yoga Tantrique selon la tradition non duelle du Yoga du Cachemire enseigné par Jean Klein.


À sa naissance, l'être humain a la capacité de se développer selon un très grand nombre de possibilités. Mais certains facteurs vont progressivement limiter et conditionner son évolution. Le lieu de sa naissance, ses conditions de vie, son hérédité biologique et karmique, son éducation, la société dans laquelle il grandira vont déterminer sa façon de penser, de sentir et d'agir.

Très tôt, la construction d'un moi nécessaire à son intégration sociale en fera un être qui se différenciera du Tout dans lequel il vivait immergé jusqu'alors. Cette construction d'un moi sera forcément restrictive et entraînera une double identification au corps et à la pensée : «Je suis moi». Affirmation qu'il lui faudra sans cesse réitérer face à un monde ressenti comme extérieur. Cette identification se fixera peu à peu grâce à la mémoire, elle s'attribuera un passé, une histoire, un projet, des goûts et des dégoûts.

En un mot, elle va créer une personne. Et c'est ainsi que cette ouverture totale à la vie qui était présente à la naissance va se trouver progressivement submergée par toute une panoplie de conditionnements et de défenses. Elle se retrouvera finalement à l'arrière-plan, là où la conscience siège encore en son état naturel, sans aucun attribut. Jean Klein nomme cette conscience non objectivée l'ultime Sujet.

Ainsi l'être humain, identifié à son moi, va devoir pour sa survie résister à toutes sortes d'agressions et s'affirmer sans cesse. Le sentiment de peur, initialement lié à la survie du corps, va s'étendre à la survie du moi. Il contribuera à conditionner la personne et à émousser la sensibilité originelle. De la sorte vont se créer des schémas de comportement et des programmations mentales qui iront se répercuter jusque dans le corps, engendrant au fil du temps raideurs, tensions, dysfonctionnements et douleurs diverses. Ce processus finira par inhiber le corps d'énergie, source de la vitalité. L'éveil du corps d'énergie va restituer au corps physique une disponibilité qui permettra aux tensions engrammées de se libérer par strates successives, selon l'ordre inverse de leur apparition, des plus superficielles aux plus profondes. Dans ce but, il s'agira de prendre conscience, par une observation très fine, de la façon dont nous réagissons aux événements...

Grâce à la prise de conscience de nos fonctionnements, nous pouvons nous rendre compte des effets que produisent sur nous les différents événements de notre vie : effets sur nos humeurs, sur nos sentiments, nos pensées ainsi que sur notre corps. Nous sommes affectés par ce qui nous arrive dès lors que nous ramenons l'événement à notre personne, ce qui est le plus souvent source de conflits. Nos actions sont alors entachées d'une charge émotionnelle qui agite constamment le mental.

Lorsqu'en revanche il nous arrive de considérer la situation d'un point de vue non identifié au moi, force est de constater que le résultat est tout autre. Nous agissons alors de façon simplement fonctionnelle, au mieux de nos possibilités, sans que les événements laissent de trace en nous.

Il est des moments d'émerveillement, d'étonnement, de béatitude ou d'urgence où la situation ne se réfère pas à notre personne. Dans ces moments, nous agissons spontanément suivant l'impulsion de notre cœur et le mental reste absolument libre de toute tension.

Nous découvrons ainsi que nous avons le choix de nous positionner face aux évènements d’une façon personnelle ou non personnelle et que, suivant ce choix, leurs effets sur nous –mêmes et par conséquent sur notre environnement en seront bien différents. Nous avons pris l’habitude de nous identifier à notre personne, oubliant par là que nous pouvons nous situer autrement. Le yoga du Cachemire est un moyen privilégié pour retrouver cette souplesse d’être.


Koos Zondervan - Le Yoga Tantrique - Editions Almora -




samedi 14 mai 2011

Steven Harrison - La fin du vouloir

Steven Harrison est écrivain et conférencier américain reconnu sur les thèmes de l'éveil de la conscience et des relations humaines.


Le dépendant regarde l'objet et pense, «je veux» et « je ne devrais pas». La tension de ce monde divisé ne peut se résoudre que temporairement en se laissant aller à l'objet du désir. Mais le dépendant se retrouve à nouveau devant le « je veux» et « je ne devrais pas». Et encore et encore, il se laisse aller.

Faisons-lui suivre un programme de réhabilitation. À présent il entend uniquement « je ne devrais pas», si fort, que le «je veux» en est étouffé. Il est libre de la dépendance, mais le prix en est une éternelle négation du «je veux», la suppression de l'élan à faire l'expérience. Le dépendant est libre de l'habitude destructrice, mais il est dans la non-expression, la non-manifestation et il n'est pas comblé. À présent la dépendance est au «je ne devrais pas», et il doit s'y laisser aller aussi fréquemment qu'autrefois il se laissait aller à ses désirs.

Et si nous faisons disparaître le conflit, si nous retirons le «je ne devrais pas» ? Tout ce qui reste est le «je veux». Le «je veux» est conduit à acquérir, à posséder, à faire l'expérience des choses. Le «je veux» est centré sur le moi, il ne se soucie pas du monde environnant car il n'y a plus de «je ne devrais pas». Le «je veux» prend et prend sans relâche. Il se nourrit sans fin de l'objet de sa convoitise sans jamais être rassasié. Il consomme, jusqu'à ce que dilaté, et surchargé, il s'effondre sous ses propres excès.

À présent, retirons le «je» du «je veux». Ôtons le centre de la perspective, l'identité de l'impulsion. Le vouloir sans le «je» qui lui est attaché ne peut trouver de direction. Il est sans l'intelligence de savoir quoi dévorer. Il n'y a pas de «je ne devrais pas» pour lui fournir des indices car il n'y a plus de «je». Le vouloir ne retire aucune joie de l'abandon à ses désirs car sa nature est de vouloir, pas d'avoir. Sa nature est de vouloir, pas de faire l'expérience des choses. Vouloir n'a ni passé ni futur. Il ne peut se souvenir de ce qu'il cherche, ni pourquoi il cherche. Ce n'est pas le vide en quête de plénitude, la dépression en quête de bonheur. Ce n'est pas la solitude en quête d'une relation. C'est vouloir. Simplement vouloir. Continûment vouloir.

Il n'y a rien à faire pour ou avec vouloir. Il existe de façon inhérente dans sa propre nature.

Nous avons écarté «je ne devrais pas» du «je veux - je ne devrais pas» du dépendant et avons trouvé laisser-aller et destruction. Mais nous avons continué par le retrait du «je». Et là, nous sommes parvenus à un espace où le vouloir existe mais n'a pas d'activité, pas d'expression, pas de pouvoir et il ne cause aucun mal.

Nous découvrons que l'addiction n'est pas une addiction à nos désirs, mais une addiction à nous-mêmes. Le désir n'est pas le problème. "Nous-mêmes"est le problème.

Le désir sans identification, sans «moi» n'a aucune force. La dépendance, sans le dépendant, n'a aucune expression et donc n'appelle aucune suppression.

Si le centre, le «moi», quitte l’arène de la dépendance, il n’y a pas de combat. «Devrait» et «ne devrait pas» demeurent mais il n’y a rien pour leur fournir de l’énergie. C’est l’épuisement de la dépendance et l’épuisement de «moi».


Steven Harrison - Etre Un, se trouver dans la relation - Editions Accarias L'originel -


lundi 9 mai 2011

Jean Yves Leloup - Notre manière propre d'incarner la vie, l'amour...


Chacun de nous est un chemin, ce qui est demandé à l'un n'est pas demandé à l'autre. On ne demande pas à un pommier de faire des figues, on demande à un pommier de donner des pommes, au figuier de donner des figues.

La seule chose qui nous est demandée et que demande la Vie en nous, c'est de produire nos propres fruits, les fruits de notre propre sève, le chant de notre propre cœur, la marche de notre propre Vie.

On fait souvent de nous des arbres artificiels, un peu comme les sapins de Noël. Nous ne donnons alors pas les fruits de notre arbre mais d'autres fruits, qui viennent d’ailleurs. Ils sont certes brillants, appétissants et beaux à voir mais ils manquent de sève et de saveur. Il nous arrive ainsi d'en avoir assez d'être un sapin de Noël et de vouloir être enfin un arbre bien planté en terre, pour porter enfin nos fleurs et donner nos propres fruits, tournés la lumière.

Pour cela, il nous suffit de savoir quelle est notre manière propre d'incarner la vie, l'amour... À chacun de devenir le nom, le secret qu'il est, de révéler cette forme particulière que prend l’être, la Vie en lui. Chacun de nous est un chemin unique, celui que prend l’Amour pour éclairer le monde. Chacun de nous est une forme unique, particulière que prend la Vie pour éclairer la terre.


Jean Yves Leloup - L'assise et la marche - Editions Albin Michel


samedi 30 avril 2011

Jean Yves Leloup - « Est-ce que ton chemin a un cœur?»



Une autre parole à « tenir debout» m'a été donnée par quelqu'un qui aimait beaucoup les œuvres de Carlos Castaneda : « Quel que soit ton chemin, quel que soit le chemin que tu prends, demandes toi si ce chemin à un cœur. Tu peux marcher sans carte et sans guide, mais ne marche pas sans boussole! »

II ne s'agit pas seulement de marcher doucement, il s'agit de marcher en étant orienté, en ayant soi-même un point de repère, une boussole.
Par temps de brouillard, par temps difficile, elle nous indique le nord, elle nous oriente, elle nous garde de la désorientation au sens physique du terme. Avoir une boussole, c'est avoir un centre, c'est être centré. Et, pour un être humain, c'est avoir un cœur, non seulement au sens d'organe des sentiments, de l'émotion, ou de l'affection, mais un cœur en tant que lieu d'intégration de tous les éléments de notre personnalité, en tant que centre où notre intelligence et nos pulsions se rejoignent, se réintègrent.


Avoir un cœur, c'est être centré. On peut marcher « avec cœur» ou marcher « sans cœur ». Lorsque le chemin nous est imposé, on n'en profite pas vraiment. Par contre, que l'on se perde ou que l'on s'égare, si le cœur y est, et que l'on marche en sa présence, une lumière est dans la marche.
«Va, va où ton cœur te mène». Aller où notre cœur nous mène est un risque, qui nous conduit parfois dans des impasses, ces « chemins qui ne conduisent nulle part» dont parle le philosophe Heidegger. Ne confondons pas le cœur boussole et le cœur girouette. Sachons quelle est notre boussole et quelle est notre girouette.


Quelle est notre girouette toujours prête à tourner à tous vents?
Pour certains, ce sera la tête, le mental, les pensées qui suivent tous les vents, toutes les modes. Elle indique où va le vent, ce qui se passe peut-être dans le présent, mais elle ne donne pas la direction juste à prendre. Pour d'autres, ce seront les émotions.
Derrière la girouette que nous sommes souvent, il s'agit de retrouver la boussole ; son cœur, son orient, son orientation vers la lumière.
Dans nos vies, le plus difficile, c'est de savoir ce que l'on désire vraiment. Une multitude de désirs nous assaillent et nous désorientent. Quel est notre désir profond? Celui qui nous conduit justement à l'Orient, à la Lumière? Se tenir proche de ce désir, c'est se tenir proche de son propre chemin. « Mieux vaut mourir dans sa propre loi que sous la loi d'autrui», enseigne la Bhagavad-Gîtâ. Mieux vaut mourir selon sa propre loi, sa propre voie et voix - qui nous parle de l'intérieur -, que d'écouter même parfaitement la voix d'un autre. Suivre sa propre voie, même imparfaitement, plutôt que de suivre parfaitement la voie d'un autre, la loi d'un autre.


Avoir une boussole, ce n'est pas découvrir un chemin tout tracé. Plus qu'un chemin, cette marche est une itinérance. Le bonheur est dans la façon de marcher. Il ne s'agit ni de suivre un itinéraire ni d'être dans un état d'errance. L'itinéraire tout tracé risque de nous enfermer et de nous faire passer à côté d'un paysage, d'un trésor, d'une lumière, d'un état de conscience, d'un niveau d'être qui nous était destiné ... Mais il ne s'agit pas non plus d'être dans l'errance, de se faire le jouet de tous les vents, de tous les appels qui viennent d'ici ou de là.
Celui qui marche en suivant sa boussole peut garder le cap, il a reconnu en lui son orient.



Jean Yves Leloup - L'assise et la marche - Editions Albin Michel



samedi 2 avril 2011

Dominique Baumgartner - La vie est le chorégraphe...


La vie a pris forme en nous. Lequel d'entre nous a-t-il décidé d'être celui ou celle qu'il est physiquement, psychiquement ?

Nous sommes investis par la vie, elle nous met en mouvement d'une façon unique et spécifique dès notre conception. Selon que nos vies s'accordent ou se dérogent à ce mouvement originel, nous faisons l'expérience de la fluidité ou de l'adversité.

La chorégraphie est l'art d'enchaîner des figures et des pas pour mettre en scène une histoire. La vie est le chorégraphe, elle impose un style, des figures, des pas que nous effectuons avec plus ou moins de talent et de grâce selon que nous nous laissons danser ou non.

Quand nous nous laissons danser par la vie en nous, notre rapport à l'environnement est sain, nous nous ajustons à ces exigences et aspérités avec souplesse et conscience. Dans le cas contraire, nos cycles du contact sont tronqués et inachevés : nos ajustements conservateurs ou nos résistances habituelles rigidifient notre rapport à l'environnement. Nous avons ainsi confirmation de nos représentations.


Dominique Baumgartner - Coaching, une psychologie de l'Eveil pour les acteurs de l'entreprise -
www.cree-coaching.com


jeudi 17 mars 2011



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Jean Klein - Vision non-duelle et complémentarité harmonieuse



Lorsque vous abordez un problème du point de vue de l’égo, il y a une confrontation d’objet à objet qui est partielle et fragmentaire. C’est seulement lorsque vous occupez la toile de fond (Témoin) que l’on peut vraiment parler d’un point de vue synthétique et global.

Pour pouvoir comprendre la perspective non-duelle, il faut se rendre compte que l'on est prisonnier de certains clichés qui nous font toujours voir les choses d'une façon duelle et fragmentaire. Pour retrouver la vision non-duelle, il faut nous habituer à reconsidérer les «fragments -objets» de notre connaissance usuelle dans leur relation avec les autres «fragments-objets» de manière à obtenir une vision globale de plus en plus étendue dans laquelle les oppositions et les conflits se transforment en complémentarité harmonieuse.
Il faut étendre cette «globalité» au maximum. En tendant vers ce maximum, notre vision globale nous présentera une réalité de plus en plus harmonieuse pour aboutir à la limite, à la vision unitive.

On constatera dans ce processus que tous les problèmes et tous les conflits ont pour cause une vision fragmentaire. À mesure que notre vision est moins fragmentaire et par conséquent plus globale, nous voyons les contradictions se réduire en oppositions et les oppositions s'atténuer peu à peu pour devenir des complémentarités.
Les complémentarités apparaissent alors comme des aspects de l'unité. Arrivé à ce point on est à la dernière étape. On se trouve devant une unité objective saisie par un sujet. Il n'y a plus qu'un pas à faire pour comprendre que cette dualité sujet-objet est encore irréelle et que le Réel est «Un».

Jean Klein - La joie sans objet - Editions Almora



samedi 12 mars 2011

Osho - L'action dans la relaxation...


De nombreuses personnes voudraient se détendre, mais elles ne peuvent pas se détendre. La détente est comme une fleuraison, vous ne pouvez pas la forcer. Vous devez comprendre le phénomène tout entier : pourquoi vous êtes si actif, pourquoi tant d'occupation active, pourquoi êtes-vous obsédé par elle.

Souvenez-vous de deux mots : l'un est action, l'autre est activité. L'action n'est pas de l'activité. L'activité n'est pas de l'action. Leurs natures sont diamétralement opposées. L'action c'est lorsque la situation l'exige, vous agissez, vous répondez. L'activité c'est lorsque la situation importe peu, ce n'est pas une réponse, vous êtes si agité intérieurement, que la situation est juste une excuse pour être actif.

L'action émerge d'un mental silencieux. L'activité émane d'un esprit agité. Agissez plus et laissez les activités cesser d'elles-mêmes. Peu à peu une transformation se passera en vous. Cela prend du temps, cela a besoin de saisons, mais il n'y a également aucune hâte.

Maintenant vous pouvez comprendre ce que signifie la relaxation. Cela signifie aucun désir d'activité en vous. La relaxation vient à vous lorsqu'il n'y a aucun désir d'activité, l'énergie est "chez elle" - ne se déplaçant nulle part. Si une certaine situation surgit vous agirez, c'est tout, mais vous ne cherchez pas une certaine excuse pour agir. Vous êtes à l'aise avec vous-même. Relaxation veut dire : être à la maison. La relaxation est non seulement celle du corps, non seulement celle du mental, elle est celle de votre être tout entier.

Vous êtes trop dans l'activisme et bien sur, fatigué, dispersé, desséché, congelé. L'énergie de vie ne circule pas. Il y a seulement des blocages, des blocages et des blocages. Et toutes les fois où vous faites quelque chose vous le faites dans une folie. Naturellement la nécessité de se détendre se fait sentir.

La relaxation est une absence, une absence d'activité, pas une absence d'action. Ne faites rien ! Aucune posture de yoga n'est nécessaire, aucune déformation ni contorsion du corps ne sont nécessaires. "Ne faites Rien !". Seule l'absence d'activité est nécessaire. Et comment viendra-t-elle ? Elle viendra par la compréhension. La compréhension est la seule discipline. Comprenez votre activisme et soudain, au beau milieu de l'activité, si vous devenez conscient, cet activisme s'arrêtera. Si vous devenez conscient de pourquoi vous le faites, cela s'arrêtera.

La relaxation n'est pas une posture, la relaxation est une transformation totale de votre énergie.


Osho, Extrait de: Tantra: The Supreme Understanding




jeudi 10 mars 2011

Fabrice Midal - Laisser le "Ah!" surgir dans la vie

Fabrice Midal est enseignant de la tradition bouddhiste dans la lignée de Chogyam Trungpa. Il est aussi philosophe, écrivain et conférencier.


Ah! ... Il ne s’agit pas du « Ah » des vocalises, ou encore celui d’un cri de peur, mais celui qui peut survenir alors que, perdus dans nos pensées, nous revenons à nous-mêmes. Ce Ah ! marque un léger étonnement. Il survient aussi au moment précis où nous faisons l’épreuve de la vérité comme une sorte de secousse.
Nous lisons un texte, un poème, parlons avec un ami, écoutons un morceau de musique et d’un seul coup quelque chose nous parle d’une manière indiscutable qui nous donne le sentiment que le monde devient plus réel. Quelque chose s’ouvre qui n’est pas construit ou fabriqué — qui n’était pas prévu. Ah !
Le cœur de la voie bouddhique est cette ouverture non décidée qui, reconnue, peut changer entièrement le ton de la situation.

Le sens de la méditation n’est pas de chercher à atteindre un état de calme et de faire de cette décision un nouveau projet. La méditation consiste à être ouvert à ce qui survient pour laisser l’espace nous réveiller. Comprendre cette distinction est sans doute le point le plus important pour découvrir le sens authentique de la pratique de la méditation.

Nous n’avons pas à atteindre un état donné de paix, mais à apprendre à laisser être les moments d’ouverture quand ils surviennent. Et pour ce faire, le chemin consiste à cultiver une attitude d’accueil chaleureux. C’est cet accueil qui est la paix, non l’absence d’agitation et de conflit.

Il existe deux ententes contradictoires de la paix. Une paix qui cherche à éviter tout conflit, tout contraste et nous enferme dans une sorte d’univers cotonneux où nous serions à l’abri. Une telle perspective n’est pas loin de celle qui prétend que nous serons en paix quand nous aurons mis tous les étrangers dehors, quand on aura aboli toute insécurité, que le principe de précaution sera totalement appliqué, que plus rien ne nous fera souffrir. En caricaturant : que l’idéal serait de pouvoir installer un globe au-dessus de nos maisons pour éviter la pluie et tout autre désagrément. Vivre dans un centre commercial à chaque instant. Dans un programme de télévision.

Mais il existe une autre entente de la paix qui accepte qu’il pleuve, qu’il puisse y avoir un moment d’ennui, que les choses ne soient pas exactement comme on le voudrait — autrement dit qui est prête à laisser survenir le « Ah ». Cette paix n’est pas la pétrification de tout conflit, mais l’acceptation du mouvement même de l’existence. Elle ne refuse pas les échecs et les désillusions, les douleurs et les incertitudes mais en fait autant d’occasions de redécouvrir le verso des choses — la dimension musicale de l’espace.

Le Ah ! surgit dans la pratique, dans la vie. Il prend aussi au niveau externe, le visage de ces coïncidences que Jung nommait synchronicités. Ces coïncidences sont des moments où la situation semble d’elle-même faire « Ah », rapproche des gens et des paroles d’une manière fulgurante…

Lorsque le « Ah » surgit, on ne peut pas le prévoir. Soudain quelque chose s’ouvre. La plupart du temps on ne fait pas attention à ce « Ah ». On fait attention aux images qui apparaissent sur l’écran mais on ne voit pas l’écran. On fait attention aux plantes qui poussent dans le jardin, mais on ne voit pas la terre d’où elles surgissent. Le « Ah » est la manière dont l’espace ouvert surgit d’un seul coup.


Fabrice Midal - Extrait de sa Newsletter mars 2011


lundi 7 mars 2011

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Jean Klein - Devenir notre objet d'observation



... Voyez-vous, il y a un certain nombre de choses qui sont importantes. Et la première est de comprendre, parce que la compréhension vous situe différemment. Vous ne pouvez pas vous situer arbitrairement. C'est seulement la compréhension en profondeur qui opère le changement.

Ce qui pour vous est important, c'est de prendre conscience de votre corps, de vos émotions et de vos pensées, et d'observer combien celles-ci varient continuellement. Vous découvrirez ainsi dans cette variété un type de pensée, un cliché si vous voulez, qui se répète plus ou moins et autour duquel vous rôdez continuellement.

Mais avant tout, devenez votre objet d'observation, en vous abstenant de tout jugement, et de toute critique ou condamnation : constatez simplement.


La connaissance du Soi ne vient que par l'acceptation. Il faut d'abord et avant tout s'accepter parce que de cette acceptation naît la possibilité même de se connaître. Autrement, il y a toujours fuite.
Et quand vous arrivez à la connaissance de vous-même, à la connaissance de tous vos rouages, de vos clichés et de vos moules, sans vous en rendre compte, vous vous placez en dehors. C'est tout ce qu'on demande pour le moment. N'exigez rien d'autre!



Jean Klein - La joie sans objet - Editions Almora



lundi 21 février 2011

Khalil Gibran - Il en est qui donnent ...


« Il en est qui donnent peu de l’abondance qu’ils ont
et ils donnent pour susciter la reconnaissance,

et leur désir secret corrompt leur don.

Il en est qui ont peu et qui le donne entièrement.
Ceux-ci croient en la vie et dans la bonté de la vie,
et leur coffre n’est jamais vide.


Il en est qui donnent avec joie,
et cette joie est leur récompense.


Il en est qui donnent avec douleur,
et cette douleur est leur baptême.


Il en est qui donnent et ne ressentent ni douleur, ni joie
et ne sont pas conscients de leur vertu.

Ils donnent comme dans la vallée là-bas,
le myrte exhale son parfum dans l’espace.

Par les mains de tels êtres, Dieu parle,
et à travers leur regard, il sourit à la terre. »



Khalil Gibran


vendredi 18 février 2011

Jean Klein - Nous laisser convier aux rappels de vigilance et de disponibilité




... Lorsqu'un objet apparaît dans la Conscience, il n'a aucune réalité dans le passé, et il n'en a pas dans le futur. C'est seulement ce qui est dans l'instant même qui a valeur et réalité. C'est uniquement dans chaque instant que nous pouvons trouver en nous cette résonance. Donc, vouloir toujours retourner dans le passé, ou nous loger dans un hypothétique futur n'amène aucune solution. La seule possibilité d'en sortir réside dans l'instant présent.

En vérité, ce qu'on appelle l'instant présent n'existe pas, car il est déjà le passé. Nous ne pouvons jamais saisir un présent, mais seulement être présents à nous-mêmes, c'est-à-dire être « l'éternelle » présence...

... Donc, cette discrimination, qui approche les choses de cette manière vous dégage de tous les conditionnements habituels. C’est ce qu'on peut appeler la méditation, mais c’est pour ainsi dire une méditation continuelle. Ce n'est pas une méditation organisée entre sept et huit. C'est une méditation qui crée des rappels.

De même que la paresse engendre la paresse, l'état vigilant engendre des rappels de vigilance . Il crée la disponibilité à cette vigilance.
Un homme qui a une approche saine vis-à-vis des choses, a de fréquents rappels de disponibilité. Et c'est la répétition, non organisée, de cette disponibilité qui apporte la détente et la capacité de faire face aux différents événements.
Entreprendre systématiquement des méditations en les considérant comme une espèce de devoir, n'est qu'une violence supplémentaire vis-à-vis de soi-même.

Vous verrez, après notre réunion, que du fait que nous étions tous attentifs à la recherche de cet Objet - qui n'en est pas un bien entendu, puisqu'il est l'ultime Sujet -, vous pourrez peut-être constater qu'en traversant la rue demain ou après-demain, un furtif rappel de ces choses surgira dans votre esprit. Et le principal est de vous laisser convier à ce rappel.


Lorsqu'on vit d'une façon intime avec soi-même il y a des invitations auxquelles il faut répondre. II faut se laisser prendre, commencer à converser, et faire commerce avec ces sollicitations qui deviendront de plus en plus fréquentes et rapprochées, jusqu'à ce que nous soyons dans une continuelle et profonde méditation. Voilà l'approche saine, organique, non violente, qu'il faut avoir vis-à-vis de la vie.
Toute autre approche nécessitant discipline, violence, ou efforts de détachement, que ces efforts soient physiques, alimentaires ou psychiques, est à déconseiller.


Jean Klein - La joie sans objet - Editions Almora


lundi 7 février 2011



... Dans la beauté, je marche.
Avec la beauté devant moi, je marche.
Avec la beauté derrière moi, je marche.
Avec la beauté au dessus de moi, je marche.
Avec la beauté autour de moi, je marche.
La beauté est revenue, la beauté est là! ...




samedi 29 janvier 2011

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Jean Yves Leloup - Entrer en contact avec notre véritable nature


Sur la voie de la compassion, nous découvrons que le fond de notre être est bon, que la nature de notre être est don, ce qui n'est pas si évident. Il y a pourtant en nous une générosité fondamentale qui est la première de toutes les perfections.

Il est possible de "donner", à condition de dépasser cette mentalité de mendiant que nous avons malheureusement développée en nous, cette attitude qui fait que nous avons sans cesse besoin des autres, où nous n'arrêtons pas de demander aux autres. Nous pensons qu'il est impossible de donner tant que nous n'avons pas reçu, or nous n'avons jamais assez reçu, notre père et notre mère ne nous ont jamais "assez" aimés, nous sommes toujours en manque ... Tant que nous restons dans cette attitude de mendiant, la générosité fondamentale de notre être ne peut s'éveiller.
Nous sommes riches dans la mesure où nous sommes capables de donner, et c'est là notre noblesse.

Il ne faut pas vouloir être bon, vouloir pardonner à tout prix, il ne faut pas chercher à pardonner avec la force du "moi", parce que le moi en est incapable. « Au moment où je reconnais les limites de mon amour, de ma capacité d'aimer, je peux m'ouvrir aussi à "quelque chose" qui, en moi est capable d'aimer : c'est cela entrer en contact avec notre véritable nature, qui est générosité et bonté.

Adhérer à cette nature de bouddha, agir non plus à partir du "moi" mais à partir de l'éveillé (ou du Christ ou du Bouddha) qui est en nous, c’est entendre : « Moi » je ne sais pas aimer, « Je » ne peux pas aimer. Mais il y a en moi quelque chose de plus grand que moi qui, lui, peut aimer, il y a en moi un mode de fonctionnement auquel je ne suis pas habitué, pour lequel je n'ai pas été formé et qui pourtant, si je le laisse s'exprimer, me rend capable d'actes que mes seules forces ne permettraient pas.


Jean Yves Leloup - La montagne dans l'Océan - Editions Albin Michel




mardi 25 janvier 2011



"Continuez de croire que, grâce à vos sentiments et à vos actes,
vous participez aux desseins les plus nobles.

Mieux vous entretiendrez en vous cette flamme,
plus la réalité et le monde en tireront profit pour aller de l'avant."


Rainer Maria Rilke


jeudi 20 janvier 2011


Tous les jours à votre réveil, pensez
Aujourd’hui je suis fortuné de m’être réveillé
Je suis vivant
J’ai une vie humaine précieuse
Je ne vais pas la gâcher
Je vais utiliser toutes mes énergies
Pour me développer personnellement
Pour étendre mon cœur à tous les êtres."

Dalai Lama


samedi 8 janvier 2011

Jean Yves Leloup - "L'oeil de la nuque"



Le regard ordinaire est la plupart du temps un regard frontal, un œil «flèche» qui vise, définit, objective. Il voit des «choses» et s’il les voit «bien», «précisément», il est heureux.

Un autre regard est possible. Il ne part pas des yeux ou du front, mais de derrière les yeux, de derrière la tête, depuis ce qu'on pourrait appeler «l'œil de la nuque». C'est davantage un regard «coupe» qui accueille ; il ne vise rien, il acquiesce à ce qui est sans chercher à le définir ou à l'objectiver.
Il ne voit pas des «choses», mais un champ d'énergie ou de lumière dans lequel des lignes, des formes, des densités apparaissent ...
Si le mot existait, il faudrait dire que «l' œil de la nuque» veut davantage «infinir» que «définir» ce qu'il voit. Autant dire qu'il ne veut rien ; il laisse planer l'oiseau dans son vol, il ne cherche pas à le saisir.

Regarder quelque chose ou quelqu'un, un paysage, un corps ou un visage avec «l'œil de la nuque», c'est cesser immédiatement de se l'approprier, c'est le rendre à l'espace, à l'entre-deux, au «fond» ; à ce qui ne se voit pas dans le visible.
On ne voit pas «le fond», mais peut-être, parfois ce qui dans une image le laisse pressentir ... Il ne s'agit pas de «faire abstraction du réel», mais de voir l'abstraction du Réel.

"L'œil de la nuque" correspond à ce moment de recul où le regard, prenant conscience de ses projections, s’efface. Ce moment d'effacement ou de retrait correspond à un regard qui peut alors accueillir. Ce regard créateur n'est ni déterminant (il n'objective pas) ni déterminé (il ne se laisse pas imprimer «impressionner» par quelque chose de particulier).

«L'œil de la nuque» place le regard humain dans son ouverture maximale ; il le replace dans l’ouvert ... Il ne s'agit pas seulement du « regard éloigné » qu'on reconnaît au sage, mais du regard infini de l'infini Réel…


Jean Yves Leloup - Qui est "je suis"? - Editions du Relié



lundi 3 janvier 2011

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Chercher le miel ou le frelon de notre âme ?


L'arbre ne se soucie pas de plaire, d'être un nid pour l'aigle ou pour la colombe. Il ne choisit pas ses oiseaux. Etre la demeure de l'aigle ou le nid de la colombe ne le fait pas pousser plus haut.
Il est ce qu'il est. L'arbre aux basses branches est autant aimé des singes que des enfants. Il ne donne pas moins aux uns qu'aux autres.

Ainsi l'homme juste : il est ce qu'il est. Il se donne tel qu'il est. A chacun de le prendre, de le recevoir selon sa capacité ou son bon plaisir.
Il dit ce qu'il est, ce que le Souffle lui inspire ; sachant que ses paroles pourront être plus ou moins bien interprétées selon l'oreille de celui qui écoute.

Avec les mêmes fleurs, les abeilles font leur miel et les frelons leur venin.
Si une parole nous pique, ne pas accuser les arbres, ne pas accuser le printemps.

Chercher plutôt le frelon de notre âme...