samedi 9 janvier 2010

Yvan Amar - Le chemin qui fait de l'autre notre prochain...


... Là où siège la difficulté, là est la pratique. Qu'est-ce qui est difficile? C'est l'autre. L'autre est la difficulté, l'autre est la pratique.
Dans la contemplation, l'un est la joie, l'un est la pratique. Dans l'action, l'autre est la difficulté, l'autre est donc la pratique. Soyons simples et reconnaissons que nous considérons l'autre, depuis toujours, comme la source des bienfaits et la source des souffrances. On se dit que c'est à cause de l'autre, la faute de l'autre, ou grâce à l'autre.

L'enseignement de la prise de conscience m'oblige à amener ma conscience, mon attention, là où c'est difficile et en relation à l'endroit de la difficulté, je suis aussi obligé à la relation consciente. Et là, que vais-je voir? Je vais constater, avec une acuité de plus en plus profonde, combien cette relation est négligée. Combien elle est profane, dans le sens d'être avant tout utilitaire : ce qui est bon pour moi, je le prends; ce qui est mauvais pour moi, je le repousse, et ceci sur tous les plans: matériel, corporel, sensoriel, autant qu'affectif, émotionnel, sentimental ou encore conceptuel. J'attire ce qui m'arrange, je repousse ce qui me dérange. Tout mon rapport à l'autre, qu'il soit un être humain, un objet, un événement, une situation, tout cet univers est géré par cette loi: attirer-repousser, j'aime-je n'aime pas, je prends-je rejette. Est-ce que je peux penser un instant, connaître véritablement la nature de l'autre, la nature de la relation, si je ne vis de l'autre et de la relation que ce processus-là ?

Quand je parle d'un chemin, quand je parle d'une quête, c'est la quête d'un sens beaucoup plus vaste que cette simple relation-là. C'est la quête d'une qualité beaucoup plus vaste que ce genre de commerce que j'ai avec l'autre, cette transaction continuelle, ce marché. Cette quête me demande de voir dans l'autre quelque chose de beaucoup plus vaste que ce qui peut servir ou desservir mon intérêt personnel.

Cela n'est possible que si, ayant ressenti l'autre comme mon chemin, je suis prêt à l'accueillir, à lui ouvrir ma porte, à pratiquer l'hospitalité véritable.
Ce chemin-là s'avère un immense défi. C'est d'une telle exigence, d'une telle obligation, que cela rend ce chemin aussi respectable, vénérable que les chemins tant chantés de la renonciation, de la transcendance ou du souverain détachement. Il est aussi noble le chemin du souverain attachement à ce qui est ! - avec le sentiment profond de responsabilité grandissante qui en découle.
Le chemin de la relation consciente, le chemin de l'autre, c'est le chemin qui fait de l'autre notre prochain (notre semblable), car le divin ne se révèle pas dans l'autre, le divin se révèle dans le prochain. Le prochain exprime, en effet, une relation d'une qualité entièrement différente.
L'autre est le partenaire d'un marché dans la relation, car ce sont deux autres qui se rencontrent. Mais lorsque l'autre est devenu mon prochain, cela indique un changement dans la qualité de la relation. Cette relation-là, c'est la nature de la réalité que nous cherchons, cette relation qui fait de l'autre le prochain, c'est l'amour…


Yvan Amar - L'obligation de conscience - Editions Le Relié