mardi 29 décembre 2009

Placide Gaboury - Inviter la grâce


Placide Gaboury est québécois, chercheur spirituel, écrivain.


La méditation n'est pas une discipline à laquelle on astreint son corps, mais une ouverture par laquelle on laisse la vie conduire l'être. Car tout ce que l'on fait, finalement, c'est répondre à une invitation...

Le peu de transformation spirituelle que j'ai connue dans ma vie est venue non pas de mes efforts pour atteindre l'Absolu mais de l'invitation discrète de la grâce. C'est la Source de Vie, l'Esprit, la Conscience éternelle - peu importe l'appellation - qui attire, guide, éclaire et fortifie. Dans le domaine spirituel, on ne fait pas pression sur le Divin au moyen de pratiques volontaires ou d'efforts concertés : on ne force pas la main de Dieu. Par conséquent, il n'est pas question qu'on décide de méditer comme on déciderait de prendre un cours de dactylo ou de danse à claquettes! Ce n'est pas une activité purement décorative, une «occupation» divertissante.

La Vie est un courant absolument libre qui nous emporte sans nous consulter, sans nous dire où mènera le mouvement. Nous y avançons de nuit pour ainsi dire, presque à notre insu. C'est toujours la grâce qui nous touche et c'est à partir du moment où l'on est touché que naît le goût de méditer. La méditation n'est donc pas un programme personnel d'épanouissement, mais une éclosion de la sensibilité, une ouverture de l'être, un regard où il n'y a plus personne qui regarde.

La grâce nous invite de la même façon qu'elle invite quelqu'un à devenir musicien. Un violoniste de très grand talent a reçu un don musical, un appel, un attrait irrésistible, qui lui fournit en même temps la motivation, l'énergie, le goût de travailler plusieurs heures par jour, jusqu'à ce qu'il soit devenu musique. S'il est tant soit peu conscient, il saura que c'est le don qui fait l'essentiel, auquel lui ne fait que répondre. Jamais on ne devient violoniste par volontarisme : il y manque ce qui ne peut s'obtenir, le don.

En elle-même, la vie spirituelle n'est ni orientale ni occidentale, elle est hors du temps et libre des modes. Mais les techniques d'éveil apparues au cours des âges ont pris naturellement les traits des diverses cultures qui les avaient élaborées. Ainsi parlera-t-on d'une méditation védique, bouddhiste, juive, soufie ou chrétienne. Pourtant il y a une attitude que l'on y retrouve comme un commun dénominateur. En effet ....

La méditation n'est pas
de la réflexion : repasser en son esprit un thème tel que la mort ou l'orgueil fixe en nous des pensées et des émotions qui s'incrustent de plus en plus dans la mémoire, nous empêchant de couler avec la vie et de lui être complètement ouvert. La pensée cherche la sécurité, alors que le corps vit dans l'insécurité. Il est donc tentant de fuir celui-ci. C'est ainsi que la plupart des chrétiens, au lieu de connaître la méditation, ont pratiqué la réflexion qui fuit naturellement les sensations pour fixer les pensées, empêchant par le fait même toute intégration du vécu et toute présence à ce qui est. La vie spirituelle était ainsi perçue comme une fuite du monde matériel et physique, et le Divin, comme une réalité en dehors de soi que l'on atteint en refusant tout le reste. On vivait séparé de soi et donc de la Source.

La méditation n'est pas de la concentration : la concentration est un instrument mental orienté vers quelque chose à atteindre, à obtenir. Elle a une certaine valeur. On peut l'utiliser pour «détendre les nerfs, apaiser une psyché perturbée, créer un équilibre chimique dans le corps, et finalement éveiller les pouvoirs latents de l'esprit et provoquer des expériences non sensorielles». Attardons-nous à ces pouvoirs qui ouvrent sur le monde astral et occulte. Cela peut se faire par une forte concentration ou une excitation de la kundalini et des chakras.

La méditation n'est pas de la thérapie : parmi les effets de la méditation, il y a évidemment le bien-être physique, la clarté de l'esprit et le sentiment d'être plus centré, plus intégré. Pourtant, aucun de ces effets n'est recherché en lui-même. La méditation n'a pas de but, elle n'est pas un acte concerté mais une attitude de l'être, une présence à la vie, sans esprit de gain, sans attente. Du reste, avec le temps, la méditation se distingue de moins en moins de l'action : elle infiltre la vie quotidienne, guérissant de la peur qui nous sépare de tout et qui pousse le mental à chercher la sécurité en nommant et fixant tout ce qu'il touche pour se protéger de l'inconnu qu'est la vie.
Par ces bienfaits non recherchés, oui, la méditation est une thérapie, mais non directive, non motivée par le désir de s'améliorer, de corriger les défauts, de se perfectionner, de jouir davantage ou de créer un bien-être à tout prix. La vie méditative guérit de l'illusion d'être quelqu'un, d'être au contrôle. C'est justement l'absence d'ego qui énergise et épanouit.

La méditation n'est pas de la psychologie : les psychologies classiques, de même que les récentes, pour la plupart, n'ont rien à voir comme telles avec la vie méditative. Etre «plus normal» ou «mieux adapté» ne libère pas de la préoccupation d'être quelqu'un, d'être important, d'être celui qui agit et réussit. Je ne dis pas que les techniques de visualisation et les suggestions pour débloquer les refoulements ne soient pas utiles à une personne grevée d'un lourd passé. Mais la relaxation, l'épanouissement émotif, la libération de ses complexes ne transforment pas le regard, ne créent pas l'ouverture, ne libèrent pas de la peur qui va toujours se chercher d'autres fuites ou d'autres boucliers.

Exprimer tout cela, par la parole ou le cri, ne libère pas. C'est le regard, l'ouverture sans jugement et sans attente vis-à-vis de toutes ces choses et de toutes ces pratiques qui seuls libèrent. Dans la mesure où, par ces méthodes, on s'acharne à atteindre le spirituel, on vit dans la tension en violentant le corps. Elles demeurent au service du petit «je» qui refuse d'être mené par la vie. On se convainc que l'éveil spirituel est une question d'acharnement personnel, de pression exercée sur ce que l'on n'aime pas dans son corps ou son vécu et que l'on veut expulser, enrayer de force. On croira même «avancer» en jeûnant, en mangeant végétarien, en prenant les poses méditatives consacrées, en cultivant la pensée positive, en se retirant à la campagne ou dans un lieu désert loin du bruit.

Tout cela peut être utile - surtout la pose du lotus, mais c'est une conséquence, non une condition. On voudrait obtenir ou atteindre le silence, la transformation, la pureté d'origine. Mais on a oublié la grâce, le don, la liberté de l'Esprit.

Ce qu'est la méditation: une sensibilité au présent.

En effet, la méditation n'a pas lieu dans le mental mais dans la sensibilité. L'attitude ou la vie méditative est une sensibilisation à l'égard de tout le vécu que contient le corps. C'est une écoute, un regard sans prise ni fermeture : il n'y a rien à refuser, rien à obtenir. C'est un mouvement qui déracine la peur et rend familier tout ce qui se présente. Je dis bien que c'est un mouvement, car cela pousse à interroger, à observer, mais en même temps, il n'y a rien que l'on veuille, il n'y a pas de cible, seulement un accord avec tout ce qui bouge. C'est le silence qui émerge dans le corps, un silence qui n'est pas absence de bruits, mais d'attaches et d'attentes. Absence de toute cette volonté propre qui exerce continuellement son pouvoir fasciste sur la vie. La méditation est nue et ouverte. Elle est vide de savoir et de sécurité. On ne fait qu'écouter, voir, goûter.

Non seulement «la méditation ne peut naître d'aucune activité mentale» (Thakar), mais elle est le silence du mental et de la mémoire. Silence qui est la sensibilité de tout l'être. Seul le silence mental permet l'écoute, la sensibilité.

A mesure que l'observation neutre se développe en nous, elle accueille tous les niveaux de l'expérience. Cela se manifeste par une attention progressive au corps, c'est-à-dire aux diverses sensations - lourdeur, légèreté, épaisseur, fluidité, tension, chaleur, ainsi qu'aux couleurs, aux odeurs, aux sons et aux sensations du toucher. L'observation peut se porter également sur les émotions qui se manifestent toujours dans des sensations. Il s'agit de les accueillir sans jugement, ni refus ou apitoiement, ne voulant ni les changer ni les détruire. Pas de théorie, d'intention, pas d'analyse pour en connaître les causes, mais un regard de tendresse et d'amour. On n'écoute pas le corps pour ensuite y changer ce que l'on n'aime pas par un barrage de visualisations et d'affirmations. On peut observer le flot de pensées mais sans s'y fixer, sans vouloir s'en servir dans ses projets d'avenir. En pratiquant cela, on verra que les domaines mental et émotif ne sont pas autre chose que le corps, en ce qu'il est chargé de mémoire. Le mental, c'est le cerveau qui est même, pourrait-on dire, le corps entier.

Le regard méditatif, qui est le silence de la Source en nous, habite l'activité du jour comme l'inactivité de la nuit. A mesure que l'attitude méditative s'imprègne, l'action est moins agitée, moins «agie par moi», l'avidité est moins forte et le besoin de sécurité moins pressant. On a cessé de se prendre pour quelqu'un.

Se produisent alors simultanément «la relaxation du sommeil profond et la vigilance consciente des heures de veille». C'est en réalité le sommeil profond qui donne le goût de méditer, fait remarquer Eric Baret : il nous attire vers la Source. «Si, dans le sommeil profond, vous n'étiez pas complètement libéré de l'asservissement à la conscience personnelle, vous ne seriez pas rajeuni après avoir dormi» (Thakar). Le renouveau d'énergie serait lié non pas tout d'abord au régime alimentaire ou à l'exercice, mais à l'absence d'ego!

Placide Gaboury - Texte extrait sur Internet -