samedi 27 novembre 2010

André Gorz - Ce lien invisible, cette expérience fondatrice ....

André Gorz (1923-2007) était écrivain, journaliste et philosophe. En 2006, il publie un dernier livre, une lettre d'amour adressée à sa femme Dorine. En novembre 2007, atteinte d'une maladie très grave, Dorine et lui se suicideront dans leur maison.


.... "Tu viens juste d'avoir 82 ans. Tu es toujours belle, gracieuse et désirable. Cela fait 58 ans que nous vivons ensemble et je t'aime plus que jamais. Récemment je suis retombé amoureux de toi une nouvelle fois et je porte de nouveau en moi un vide dévorant que ne me comble que ton corps serré contre le mien.

... Rien ne peut rendre compte du lien invisible par lequel nous nous sommes sentis unis dès le début. Nous avions beau être profondément dissemblables, je n'en sentais pas moins que quelque chose de fondamental nous était commun, une sorte de blessure originaire, une "expérience fondatrice" : l'expérience de l'insécurité.
La nature de celle-ci n'était pas la même chez toi et chez moi. Peu importe : pour toi comme pour moi elle signifiait que nous n'avions pas dans ce monde une place assurée. Nous n'aurons que celle que nous nous ferons. Nous avions à assumer notre autonomie et je découvrirais par la suite que tu y étais mieux préparée que moi."



André Gorz - Lettre à D. Histoire d'un amour - Editions Galilée




jeudi 11 novembre 2010


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Jean-Marc Mantel - Regarder, un art de laisser venir ....


Le regard que nous portons sur notre existence est déterminant quant à notre manière de la vivre.

Nous pouvons voir qu'il est le plus souvent teinté de jugements, d'opinions, qui tendent à nous faire vivre dans la croyance que notre existence n'est pas bien telle qu'elle est, qu'elle devrait être différente, et que si elle était différente, nous serions plus heureux.

Notre notion du bonheur est ainsi dépendante des circonstances de notre existence. Que ces circonstances viennent à changer, et le bonheur nous quitte aussi. Il s'agit là d'une croyance. Il n'est pas nécessaire de considérer cette croyance comme étant la réalité.

Nous parlons de regarder, mais savons-nous seulement regarder ? Savons-nous savourer avec nos sens ce qui est perçu? Savons-nous accueillir ce qui nous entoure sans nous défendre et réagir? Si nous ne le savons pas, c'est que nous ne savons pas ce que signifie regarder.

Le regard lui-même n'est jamais problématique. Il est l'outil de perception, cela qui permet que la perception ait lieu. Sans regard, peut-on percevoir ?

Regarder est tout un art. C'est un art de laisser venir en nous les perceptions, sans s'enfermer dans un jugement ou dans une opinion. Lorsque nous nous enfermons dans de telles réactions, nous ne sommes plus alors dans le regard lui-même, mais absorbé dans les processus mentaux.

Voir cela, c'est déjà s'en extraire. S'en extraire, c'est habiter une qualité de regard affranchie de l'asservissement à la pensée. Un regard affranchi de l'asservissement à la pensée est la racine de la méditation. Il est méditation.


Jean-Marc Mantel - Changer le regard porté sur sa vie - Extrait article paru dans la revue "Recto-Verseau"