mercredi 30 avril 2008

Jean Yves Leloup - La rencontre numineuse

Jean Yves Leloup évoque dans ce passage comment la rencontre avec l'autre, la sexualité, l'érotisme sont des portes d'ouverture au sacré, transformant la relation en expérience du "numineux". Il évoque Freud, Graf Dürckheim, Margo Anand pour nous permettre aussi de considérer des incomplétudes ou déconvenues.

www.jeanyvesleloup.com

(...) Sous l'opacité du masque il y a parfois la rencontre du visage. Le prochain, un instant je le reconnais comme "moi-même... Un instant nous ne sommes plus ennemis, coupables ou complices, nous sommes uniques et nous sommes un, nous nous reconnaissons "depuis longtemps" ou depuis l'origine qui est ici et maintenant (...)

La sexualité elle-même peut avoir un caractère numineux et pour beaucoup de nos contemporains c'est peut-être, plus que l'art et la nature, une voie d'accès au Sacré. " Refuser l'érotisme et la sexualité est un refus de la grande Vie dans son aspect de plénitude et son élan vers l'unité. Il est curieux que le désir sexuel qui a sa source dans la Vie elle-même doive être pour ainsi dire refoulé au profit de valeurs humaines dites spirituelles... La jouissance est au fond la façon pour l'Être, présent dans notre Être essentiel, de devenir conscient de lui même dans la conscience de l'homme." Graf Dürckheim ne fait que redire ici dans son langage l'expérience des maîtres du shivaïsme "L'homme perçoit dans le plaisir sa propre nature essentielle qui est la joie. Toute jouissance, tout plaisir est une expérience du divin... Mais l'amour parfait est celui dont l'objet n'est pas limité. C'est cet amour qui est l'amour pur, l'amour de l'amour même, l'amour de l'Être de volupté transcendant. Le plaisir n'est pas ici perçu comme obstacle sur le chemin vers le divin puisqu'il en est la manifestation et la rencontre des corps en est le temple. Principe de plaisir et principe de réalité ne sont plus ici opposés. Le monde, les corps, les esprits ne donnent du plaisir que parce qu'ils participent de son Être. Le seul malheur serait d'oublier sa Présence dans le plaisir, c'est-à-dire faire l'amour sans conscience, sans amour. La conscience du divin dans le plaisir est le propre de l'homme, sinon il se réduit à des pulsions animales, aux fonctionnements plus ou moins mécaniques de nos machines désirantes."

C'est l'Éros qui donne au sexe ses ailes. Sans érotisme la sexualité perd tout caractère numineux, elle n'est que décharge, apaisement momentané d'une tension. C'est ce que Jung reprocha à Freud, de ne pas saisir cette qualité du Numineux dans la sexualité après avoir fait de la sexualité ou de la libido le moteur premier de tous nos actes.
"Si Freud avait mieux apprécié la vérité psychologique qui veut que la sexualité soit numineuse, elle est un dieu et un diable, il ne serait pas resté prisonnier d'une notion biologique étriquée... Face à l'unilatéralité de Freud, il n'y avait pas de recours. Peut être qu'une expérience intérieure personnelle aurait pu lui ouvrir les yeux ; bien que toutefois son intellect l'eût peut-être ramenée, elle aussi, à la simple sexualité ou "psycho-sexualité".

Néanmoins demander à la sexualité de trop fréquentes extases ou une ouverture nécessaire au divin, comme peuvent le faire aujourd'hui certains adeptes d'un tantrisme superficiel, risque de conduire à des déconvenues. Le témoignage de Margo Anand est à ce propos significatif : "À force de vouloir, à travers ces rituels, canaliser l'énergie, nous nous perdons maintenant dans un dédale de symboles mystifiants, de projections imaginaires dont les structures étouffent peu à peu nos besoins d'épanouissement spontané et d'indépendance. En projetant sur toi toute la symbolique tantrique du Shiva divin, je t'appréhende comme un objet d'expérience, un phallus porteur d'extases mystiques, à condition qu'il veuille bien se laisser initier.. et tu te sens prisonnier, ignoré, manipulé. Il devient évident que je fais fausse route dans ma manière d'appréhender le tantra, je tombe dans le piège qui consiste à déterminer à l'avance l'espace désirable (l'extase) et à employer toutes les techniques possibles pour l'atteindre. La réalité présente ne suffit plus, il faut toujours l'améliorer. Cette attitude volontaire, directive, cette insatisfaction perpétuelle, due à la soif d'aller plus loin, entrave toute spontanéité."

Le moi tend à "récupérer" par sa volonté propre ce qui lui tut donné gratuitement, au moment où il s'abandonnait et s'ouvrait dans l'Inconditionné. Vouloir rendre l'ego heureux est une tâche impossible. Seule l'ouverture de l'ego au Soi rend le bonheur possible. Vouloir se rendre heureux avec un autre ou vouloir le rendre heureux avec soi est un leurre dont la souffrance nous éveille durement. Ce qui se révèle dans la rencontre numineuse, ce n'est pas seulement un "toi et moi", mais ce que Graf Dürckheim appelle le grand Troisième, le Soi, entre nous deux, qui rend la rencontre possible et parce que l'amour ne dépend pas seulement de toi et de moi, mais de ce Troisième, nous pouvons nous reconnaître dans nos différences, sans en être séparés pour autant. Le Soi est ce qui nous unifie et nous différencie dans le même mouvement. On peut être séparé d'une personne aimée ; ce qui nous a unis dans la profondeur de l'instant essentiel demeure, le temps n'a pas d'emprise sur la qualité du Soi, quand bien même il éroderait au point de les détruire les qualités du moi. Qu'est-ce qui est "indissoluble" entre deux personnes, qu'est-ce qui n'est pas soluble dans le temps, le quotidien? Le Soi. Et il y a là une délivrance, une légèreté à découvrir que notre amour ne dépend pas seulement de nous, il est un Autre entre nous, et cet Autre ne prend pas toutes nos rides, il garde la vivacité d'un enfant éternel. Que nous appelions cet Autre le grand Troisième, Dieu ou le Soi, dans la rencontre numineuse transparaît un ordre de réalité qui semble échapper aux puissances de la mort. "Aimer quelqu'un, c'est lui dire : Tu ne mourras pas."

Jean Yves Leloup - Manque et Plénitude - Editions Albin Michel


dimanche 27 avril 2008

Ajahn Sumedho - S’ouvrir à ce qui est

Ajahn Sumedho est un moine de la tradition du Bouddhisme Theravada, enseignant et guide spirituel de laïcs et de moines et nonnes Bouddhistes. Ce texte est tiré d'un moment d'enseignement.

http://perso.club-internet.fr/mhd-abt/vivekarama

On a tendance à croire généralement que la vie spirituelle consiste à suivre une certaine pratique, un rituel ou des exercices spirituels. Nous partons de l’idée que suivre ce chemin particulier nous transformera d’une certaine manière en une personne élevée spirituellement et dotée de qualités exceptionnelles.
Pourtant, souvent, ce n’est qu’un autre aspect de l’ego qui garde encore le contrôle et se donne juste une noble «habitude spirituelle».
Cela peut nous prendre un certain temps avant que nous nous rendions compte que le seul vrai moyen d’éviter ce piège de l’ego consiste simplement à nous ouvrir à ce qui est. C’est de cette manière que nous pouvons contourner l’intervention de l’ego et ne plus le renforcer.
Mais il nous faut être vigilants : s’ouvrir à ce qui est ne veut pas dire accepter ce qui est avec un condescendant «Oui, c’est très bien». C’est plutôt être réceptif à la situation par-delà tout jugement.
Accepter implique que nous sommes d’accord ou que nous tenons entièrement pour vrai ce qui se passe. Alors qu’être réceptif à la situation, ce n’est ni accepter ni refuser quoi que ce soit. Cela consiste plutôt à dire «Cela m’apparaît ainsi en ce moment mais regardons-le de plus près». Ainsi, accepter est une manière d’être condescendant, alors qu’être réceptif consiste à garder l’esprit ouvert pour voir ce qui se passe. Et ce que nous voyons est considérablement différent des apparences.
La plupart d’entre nous réagissent aux apparences négatives avec un réflexe de négativité : «Je n’ai pas envie de m’ouvrir à cette confusion. Je ne peux être réceptif à cette douleur». Cependant, si nous pouvons nous ouvrir juste un petit peu à la confusion de notre esprit, nous trouvons que ce n’est pas si confus que ça, parce que le moi ne s’identifie plus avec ma confusion, mais que ce n’est qu’une simple observation du processus impersonnel de la confusion ! En étant juste un peu plus réceptif (plutôt que réactif) à la douleur, nous nous apercevons que ce n’est pas si douloureux que cela, parce qu’alors nous nous installons tranquillement dans la réalité de la douleur plutôt que d’y résister (avec douleur !).
Quand nous devenons capables de nous ouvrir clairement et honnêtement à ce qui est, ce que nous voyons est la cause ou l’origine de ce qui est. Nous voyons certaines choses qui ont des causes ordinaires mais d’autres qui ont leur origine dans notre propre façon d’interférer. Ainsi nous apprenons ce que nous pouvons faire par rapport à ce qui est, c’est-à-dire être patient avec les circonstances et laisser tomber notre façon de nous interposer.
En théorie cela sonne bien, mais comment faire dans la pratique ? C’est maintenant que nous en arrivons aux exercices spirituels. Il y a certaines qualités qui sont d’une grande utilité pour nous aider dans cette voie. Par exemple, il est utile d’avoir confiance dans cette façon de pratiquer, d’avoir une certaine stabilité de caractère qui se développe grâce à une certaine moralité de vie, et d’avoir un certain calme qui se développe à travers l’exercice de la méditation. Mais toutes ces choses spirituelles ne doivent pas être des fins en elles-mêmes. Ce sont plutôt des qualités destinées à nous soutenir et à nous aider, afin de pouvoir nous ouvrir à ce qui est !


dimanche 20 avril 2008

On peut cueillir une fleur
pour l’offrir à un être aimé.

On peut se transformer en fleur
pour l’être aimé.



Charles Genoud - Plénitude

Charles Genoud conduit des retraites dans les traditions vipassana et tibétaines. L'extrait est tiré d'une retranscription d'un enseignement donné en we à Paris.

(...) Simone Weil disait que ce que nous cherchons dans les choses, les évènements, les relations, n'est pas faux ; mais que c'est l'endroit où nous cherchons qui est faux. En d'autres termes, imaginer que nous pourrons parvenir à la plénitude au moyen d'objets, de situations, de personnes… revient à croire que nous parviendrons de l'extérieur de nous-mêmes à combler un manque intérieur. C'est une erreur. Nous cherchons au mauvais endroit. Ce n'est pas la recherche de la plénitude qui est fausse, mais l'endroit où nous la cherchons.
Un swami indien disait, lui, que le fait que nous ne soyons jamais lassés de cette quête, que nous cherchions constamment la plénitude au moyen de nouveaux objets, de nouvelles situations, de nouvelles relations, que nous soyons constamment mus par cette quête, prouve que nous savons intimement que la plénitude existe. C'est la preuve, disait-il, que nous avons l'intuition profonde qu'elle peut être atteinte et qu'il est juste de la chercher. Mais une confusion sur la manière d'y parvenir peut exister. Dans ce cas, nous demandons aux objets, aux personnes, aux situations ce qu'elles ne peuvent pas nous procurer : il est impossible à quelque circonstance ou objet extérieur que ce soit, de procurer une plénitude d'ordre intérieur.

La méditation, dans une certaine mesure, répond à notre aspiration de parvenir à la plénitude. Dans la tradition bouddhique, comme dans les autres traditions mystiques, elle permet d'aller plus loin, mais c'est une première étape. Dans la méditation, pour explorer cette dimension de nous-même, nous ne nous tournons plus vers l'extérieur, mais vers l'intérieur. C'est un renversement d'attitude essentiel : la plénitude ne pouvant jamais être obtenue en ajoutant quelque chose de l'extérieur, nous nous tournons maintenant vers l'intérieur. La plénitude est le fait de la plénitude de notre présence et non celle d'avoir. La plénitude est une dimension de l'être et non de l'avoir. Lorsque nous la concevons en termes d'avoir, notre démarche est évidemment vouée à l'échec. Mais si nous l'exprimons en terme d'être, nous nous rendons compte qu'il n'est pas possible d'ajouter à notre être quelque chose qui viendrait de l'extérieur.
Il y a donc renversement du mouvement. Ce n'est pas un mouvement vers l'extérieur, mais un mouvement vers l'intérieur. Cela signifie également que la plénitude de l'être, si elle est accessible, si nous pouvons l'atteindre sans rien ajouter de l'extérieur de nous-mêmes, est déjà et toujours complètement présente en sous. La plénitude n'est pas quelque chose que nous pouvons créer, organiser ou construire, elle est ce par quoi nous commençons, elle est notre être le plus intime. Dans la vie quotidienne, tout mouvement est, généralement, un mouvement qui nous sort de la plénitude, même si nous essayons sincèrement de trouver des satisfactions. Tous mouvements qui essayent d'acquérir, de recevoir, de garder, sont les mouvements mêmes qui nous font sortir de la plénitude.

Il y a quelque chose d'assez extraordinaire dans le fait que la plénitude soit ce par quoi nous commençons et que, lorsque nous la plaçons à l'inverse : ce vers quoi nous tendons, ce mouvement même nous en rende l'expérience impossible. Dans la méditation, cela veut dire qu'il ne s'agit pas de transformer, de manipuler : il ne s'agit pas d'adopter l'attitude qui, dans notre vie quotidienne, vise à transformer, à modifier, à obtenir, car c'est elle qui crée le sens du manque.
Il y a donc lieu, en méditation, de laisser tomber toute notre intelligence, toute cette intelligence qui permet de transformer le monde. Cette intelligence là est extraordinaire, très utile, mais elle est liée au temps, à l'accomplissement de quelque chose qui n'est pas présent. C'est donc bien un renversement d'attitude : ne plus chercher à accomplir ou à obtenir quelque chose qui ne serait pas là à cet instant même, mais rester dans l'instant présent. Et ce n'est que lorsque nous arrivons à faire cesser ces mouvements qui nous poussent vers le futur pour accomplir ou obtenir, ou qui nous tirent vers le passé pour retrouver - ce n'est que dans la mesure où nous n'adhérons plus à ces mouvements que nous pouvons rester dans l'instant présent. Là, il est possible d'être en intimité avec nous-même et de faire, dans cette intimité, l'expérience de la plénitude de notre être. Ainsi, le mouvement dans le temps nous sépare de la plénitude et le mouvement vers l'extérieur, dans l'espace, nous en sépare également.(...)

Charles Genoud - Manque et Plénitude

dimanche 13 avril 2008

Chandra Swami - Et puis regarde...

Chandra Swami est un maître hindou retiré dans le silence et donnant ses enseignements par transmission écrite. Il fût l'instructeur d'Ivan Amar. J'ai relevé trois instructions données lors de pratiques, différentes dans leur teneur mais semblable dans leur intensité.


Peux tu comparer ces deux choses : le bonheur qui nait de circonstances favorables et la joie qu’engendre la réalisation de l'Être ? Le premier a sa source dans l'objet et ne dure pas ; de plus, il porte en lui le germe amer de la dépendance et de la crainte. Le second repose sur l'intériorité et dure l'éternité. Et puis regarde : il te tend le fruit délicieux de la Liberté et de l'Accomplissement.

Quand tu ne t'identifies plus à aucun objet extérieur ou intérieur,
tu existes dans ta nature essentielle.


Toute action naissant du silence profond de l'âme, libre de l'anticipation du futur et de la mémoire du passé, est sans aucun doute possible, transcendante et inspirée par le Divin.

Chandra Swami - Instructions spontanées - Editions Le Relié Poche

samedi 12 avril 2008

Krishnamurti - Blessure et Image de soi ...

Extrait d'un entretien avec Krishnamurti : Questionnements sur la blessure égotique ... et le rapport à l'image de soi ...

Donc, vous avez subi une blessure ? « Oui, l'image de moi-même... »
Avancons pas à pas. Qu'est-ce qui subit la blessure ? L’image que vous vous êtes forgée de vous-même, voilà ce qui a été blessé. Pourquoi avez-vous une image de vous-même ? Parce que c'est la tradition, cela fait partie de notre éducation, de nos réflexes sociaux. J'ai donc une demi-douzaine d'images au moins. Et cette image de moi-même a subi une blessure.
Alors comment faire pour effacer cette blessure, et ne plus être blessé à l'avenir, demain, l'instant d'après ?
Il y a ici deux problèmes. D’une part, le fait d'avoir subi une blessure qui suscite tout un remous d'activité névrotique, de résistance, d'autodéfense, de peur ; tout cela se trouve inclus dans la blessure passée.
D'autre part, la question de savoir comment ne plus être blessé. Vous avez subi une blessure et vous résistez, vous avez peur d'être de nouveau blessé. Vous vous construisez donc un rempart autour de vous ; vous vous isolez. La forme extrême de cet isolement étant l'abstention totale de toute relation. Et vous restez dans cette situation. Mais il faut bien vivre, il faut bien agir. Vous agissez donc toujours à partir de ce centre qui a souffert : l'action ne peut donc être que névrotique. On peut en faire la constatation dans le monde, et en soi-même.
Comment faire pour que ces blessures s'effacent totalement sans laisser la moindre cicatrice ? Comment faire, d'autre part, pour ne pas subir la moindre blessure à l'avenir ? La question est claire, n'est-ce pas ? « Est-il possible d'éviter toute blessure,? » Ce qui revient à se demander s'il est possible de ne pas avoir d'image de nous-même. Une image ni fausse ni vraie.
Est-il possible, de façon naturelle, de ne se faire ni d'image de soi-même ni des autres ? Et s'il n'y a plus d'images, n'est ce pas là la véritable liberté ?
Si l'on peut cesser d'être imbu de soi-même, se débarrasser de son arrogance, de sa vanité, alors on ne sera plus blessé. Mais comment se débarrasser de tous les détritus que j'ai accumulés ?
Tout d'abord, l'idée de se débarrasser d'une image suppose qu'il existe une entité distincte de l'image, qui peut donc chasser celle-ci. Mais l'image est-elle distincte de l'entité qui dit «Je dois m'en débarrasser» ? Elles se confondent, tout contrôle est donc exclu. Lorsque vous voyez cela, vous cessez de fonctionner de façon mécanique.
Nous allons découvrir s’il est possible d’échapper à toutes les images, non seulement les images actuelles mais aussi les images futures. Pourquoi donc l’esprit élabore t’il une image le concernant ?
L'image, c'est la définition de nous-mêmes que nous nous donnons : «Je dois m'exprimer», «Je dois me réaliser». «Moi», c'est l'image coïncidant avec l'environnement et la culture dans lesquels nous sommes nés.
La tradition est le connu. Et mon esprit a peur de se séparer du connu, de lâcher cette image. L’esprit prend donc peur et s’accroche à cette image. L’image n’est rien d’autre que des mots, elle n’a aucune réalité. Et si je ne suis plus esclave des mots, je commence alors à perdre l’image.


J. Krishnamurti - La vérité et l'événement - Editions du Rocher



vendredi 11 avril 2008






Osho - Amoureux ou Méditant ?

Lorsque pendant quelques temps, l'énergie de la méditation nous détourne de l'énergie amoureuse ... Comme un moment de "jeûne", de relation intense de soi à soi ....

www.osho.com


Lorsque vous vous engagez sur un pèlerinage intérieur, les énergies se tournent vers l'intérieur et vous vous retrouvez seul comme une île.
La difficulté surgit parce que vous n'êtes pas vraiment intéressé à être vous-même et toutes les relations apparaissent comme une dépendance, un attachement. Mais c'est une phase transitoire, n'en faites pas une attitude permanente. Tôt ou tard, lorsque vous êtes de nouveau posé à l'intérieur, vous déborderez d'énergie et voudrez entrer à nouveau en relation.
Ainsi, pour la première fois où le mental devient méditatif, l'amour semble être un attachement. Et d'une certaine façon, c'est vrai parce qu'un mental qui n'est pas méditatif ne peut pas être vraiment dans l'amour. Cet amour est faux.
Lorsque la méditation commence, l'amour illusoire disparaît peu à peu.

Première chose, ne vous découragez pas.
Si vous vous découragez parce que votre vie amoureuse disparaît et que vous vous y accrochez, cela deviendra une barrière sur votre voyage intérieur. Acceptez ce fait que maintenant l'énergie cherche un nouveau chemin et pendant quelques jours elle ne sera pas disponible pour le mouvement extérieur, pour des activités…
Si vous êtes un homme qui était amoureux, cette énergie disparaîtra simplement. Si vous essayez de vous forcer à être dans une relation amoureuse, d'être votre vieille personnalité, cette imposition sera très très dangereuse.
Car vous faites une chose contradictoire: d'un côté vous essayez d’aller vers l'intérieur et de l'autre vous essayez d'aller vers l'extérieur. Ce peut être un désastre parce que vous faites deux choses opposées simultanément.
La méditation est seulement contre l'amour faux. Le faux disparaîtra et c'est une condition de base pour que le vrai apparaisse. Le faux doit disparaître, le faux doit s'évacuer de vous complètement, alors seulement vous serez disponible pour le vrai. Ainsi pendant quelques jours oubliez toutes les relations amoureuses.

Et deuxième chose, n'en faites pas une attitude permanente.
Ce serait également un très grand danger, si vous en faites un style de vie. C'est arrivé à beaucoup de gens. Ils sont dans les monastères ; vieux moines, religieux orthodoxes qui ont fait un style de vie de ne pas être dans une relation amoureuse. Ils pensent que l'amour est contre la méditation et que la méditation est contre l'amour. Ce n'est pas vrai. La méditation est contre l'amour faux, et totalement avec l'amour vrai.

Une fois que vous vous êtes posé, lorsque vous ne pouvez pas aller plus loin à l'intérieur, vous avez atteint le noyau de votre être, le fondement, alors vous êtes centré. Soudain l'énergie est disponible mais maintenant il n'y a nulle part où aller. Le voyage extérieur s'est arrêté lorsque vous avez commencé à méditer et maintenant le voyage intérieur est également complet. Vous vous êtes posé, vous êtes arrivé à la maison.
Cette énergie commencera à déborder. Elle est un mouvement totalement différent, sa qualité est différente parce qu'elle n'a aucune motivation. Avant vous alliez vers les autres avec une motivation, maintenant il n'y en aura aucune. Vous irez simplement vers les autres parce que vous avez beaucoup trop à partager.
Avant vous alliez comme un mendiant, maintenant vous allez comme un empereur. Non que vous recherchiez du bonheur chez quelqu'un, vous l'avez déjà. Maintenant la joie déborde. Le nuage est tellement plein qu'il voudrait pleuvoir. La fleur est si pleine qu'elle voudrait chevaucher les vents en tant que parfum et aller aux quatre coins du monde.
C'est un partage. Un nouveau genre de relation est arrivé à existence. Il n'est pas exact de l'appeler une relation parce que ce n'est plus une relation, c'est plutôt un état d'être. Non que vous aimiez, mais vous êtes amour.

Aussi, ne soyez pas découragé et n'en faites pas un style de vie. C'est simplement une phase transitoire.

La renonciation est une phase transitoire, la célébration est le but de la vie, la renonciation est juste un moyen. Il y a des moments où vous devez renoncer, comme lorsque vous êtes malade et que le docteur dit de jeûner. Jeûner ne va pas devenir un style de vie. Renoncez à la nourriture et une fois que vous êtes en bonne santé, appréciez-la de nouveau. Et vous serrez à même de l'apprécier plus que jamais. Ne faites pas du jeûne votre vie. C'était une phase transitoire, elle était nécessaire.
Jeûnez juste un peu avec l'amour et les rapports amoureux et bientôt vous serez à même de vous mouvoir de nouveau, de nouveau débordant et bougeant sans motivation. Alors l'amour est beau.


Osho, Extrait de: Above All, Don’t Wobble

mercredi 9 avril 2008

OM C. Parkin - Qui suis je ?

OM C. Parkin est enseignant de l’Advaita en Allemagne. Il est aussi l’auteur de livres et articles. Certains sont en français sur son site. Le texte suivant s'articule autour de la question du "Qui suis-Je?"

http://www.om-c-parkin.de

Oui ! Qui êtes vous ?
Etes vous prêt à faire pour un moment simplement l'expérience d'être ? Sans effort aucun, sans retenir, sans laisser aller, sans rien ? Juste être ce que vous êtes sans savoir ce que c'est ? En conscience complète de vous-même ?
Le moment juste que vous pourrez attendre n'existe pas, parce que le moment juste est maintenant. Le mental pensant rejette ce moment. Il rejette toutes sortes de choses. Il rejette la douleur, la colère, la peur, ou toute autre chose qu'il ne veut pas. Que serait-il si vous rencontrez tout ça, maintenant ? Si simplement vous renoncez à l'effort requis à repousser quelque chose ? Alors vous reconnaissez : la douleur vient ; la douleur s'en va. Vous, vous êtes toujours là ! Des sensations viennent ; des sensations s'en vont. Elles passent. Mais vous, vous restez.
Etes vous une pensée ? Vous ne pouvez pas être une pensée parce que les pensées ne sont pas toujours là. Qu'est-ce qui est toujours là ? Tournez votre attention vers ce qui est toujours là.
Vous êtes Un avec la douleur, mais vous ne touchez pas la douleur. Ainsi comme le ciel est Un avec les nuages, mais les nuages ne touchent pas le ciel ! Vous ne le comprennez pas, parce que le mental pensant n'est pas capable de le comprendre. Les émotions passent, les pensées, les sensations - comme les nuages passent, comme le temps qu'il fait passe. Le moment où vous avez un intérêt pour le temps, vous êtes saisi par la souffrance ! La tristesse apparaît, brusquement vient le mental pensant et dit : "Oh mon Dieu … je ne veux pas … je ne peux pas … ceci ne devrait pas être …". Ou bien il vous raconte une autre histoire - les archives du mental pensant sont inépuisables.
Tant que vous vous intéressez au temps qu'il fait, vous vous intéressez à la souffrance. Les phénomènes viennent et s'en vont, et le moment suivant le temps a déjà changé. Quand vous le laissez passer, quand vous ne le saisissez pas, quand vous ne vous impliquez pas - alors ce n'est plus vous qui racontez les histoires, mais bien la vie qui raconte des histoires. Non plus de vous, personnelles, mais bien impersonnelles, racontées par la vie même.
Alors le moment est venu de mourir ! Que voulez vous encore chercher dans le futur, ou trouver ? Quand maintenant vous pouvez être prêt à mourir, et tout laisser mourir ? Laissez la tempête se calmer. Laissez le corps se calmer ...
L'ouverture est ici, la Conscience est ici, elle attend seulement que vous acceptiez le cadeau. Vous êtes ici, et vous vous impliquez dans ce moment unique. Et alors tout perd le sens qu'il avait. Le temps perd sa réalité, penser perd sa substance. La pensée-"Je" s'enfonce. Et vous reconnaissez : Le monde est vide, le corps est vide et tout s'enfonce dans ce vide. Ce vide est la libération du fardeau de millions d'années de développement, de devenir, d'histoire. Vous êtes sans histoire, vous êtes sans passé, vous êtes sans futur, vous êtes sans pensée.
En complète reddition vous coulez de plus en plus profondément. Et dans ce vide - depuis ce vide - s'ouvre silencieusement l'amour - l'amour de la conscience elle-même.
Vous êtes ce d'où les phénomènes émanent ! Les phénomènes naissent en vous. Vous êtes ce qui ne change pas. Vous êtes ce qui reste. Vous êtes ce qui en est conscient. Vous êtes ce qui pénètre les phénomènes. La Conscience pénètre tous les phénomènes. Il n'y a rien qui ne soit pas pénétré par la Conscience. Et la Conscience est maintenant et parfaite.
Dans la Conscience il n'y a pas de séparation. Les corps sont séparés. Les corps seront toujours séparés. Vous n'avez à chercher aucune fusion physique. La fusion a déjà eu lieu dans la Conscience depuis longtemps. La Conscience est ici - et vous êtes la Conscience.
Vous êtes ce que vous êtes. C'est tout. Et ceci est au-delà de toute chose.





Il n'y a pas à être aimé ...

Il y a à aimer ce qui est.


dimanche 6 avril 2008

Mario Mercier - Contempler ...

Mario Mercier est auteur, poète, peintre, initié aux mystères du chamanisme. Ce "journal", a été écrit en solitaire dans la montagne, dans une plongée en lui même en complicité totale avec la nature. Dans cet extrait, il évoque la puissance énergétique du regard en contemplation.


Il existe aussi une médecine de la contemplation active, contemplation fondée sur les choses belles et fortes et qui permet d'en recevoir l'essence bénéfique.

Devant moi est posée sur la table une poire que j'ai cueillie dans mon verger. Elle est fraîche, d'un beau jaune doux et sent bon. En la contemplant ou en la considérant, mon regard absorbe la forme du fruit qui m'apporte une certaine quiétude due à sa douce couleur et à ses tendres arrondis. Puis il s'enfonce dans sa chair juteuse, ce qui a pour effet d'humecter ma pensée d'une saveur bienfaisante. Car l'effet du regard qui est réceptif et émetteur est important. Il procède du plus profond de soi et porte la vibration de notre nature profonde. Il faut savoir le laisser aller sur les êtres et les choses avec la légèreté d'un papillon qui vague sur les fleurs, et parfois lui donner à ce regard un «pénétrant» semblable à celui que produit la percussion d'un son.
Le regard influence l'esprit et la matière comme il est influencé par eux. Lorsque je pratique l'art de la contemplation des montagnes, je ne recueille pas seulement de leur énergie immobile, apparemment immobile, mais je réveille aussi la leur. Je réveille cette énergie parce qu'elle est «vue» et habitée par ma pensée qui, en se projetant sur ces montagnes, les humanise de mon émotion.
En même temps, cette énergie que j'ai réveillée me réveille à mon tour. Je prends alors la densité et la puissance d'une montagne à mon degré d'homme. Pas seulement ! Je développe aussi une sorte de flair ancestral de la nature. À son contact, ma peau et mon sang changent, car la montagne a pouvoir de réverbérer en ceux qui l'aiment, la vivent, la contemplent, ses qualités d'impassibilité, de puissance et de grandeur. La contemplation de la neige revirginise l'esprit, mais, trop poussée, cette contemplation risque de troubler les sens. Cela varie selon les possibilités de chacun. Tout est question de mesure.
Même chose en amour. Aimer, c'est aussi être plein de la contemplation de l'autre. Si cet autre, pour une raison quelconque, provoque une rupture, cela créera un arrachement douloureux de substance émotionnelle pour la personne qui en sera la victime. Car l'amour d'un couple crée un troisième être; être autonome et pourtant relié à l'un et à l'autre par des fils fluidiques et vibrants. La personne qui sera victime de cette séparation vivra désormais - si son amour reste toujours intense - avec un grand trou dans la poitrine, d'où ne cessera de s'épandre toute l'énergie affective qui y aura été accumulée. Ce trou, cette béance, mettra des années à se refermer -sept ans environ - et laissera cependant une marque cicatricielle ineffaçable, qu'un choc affectif similaire pourra raviver. C'est pour cela que tous les risques sont pris lorsqu'on soumet tout son amour à un seul être, car personne ne peut dire qu'il connaît son coeur de demain. Étendre son amour à l'Universel préserve des risques d'un amour qui n'est limité qu'à une ou à quelques personnes.


Mario Mercier - Journal d'un chaman - Editions Blanc Silex


samedi 5 avril 2008


Le chagrin d'amour

est sans doute en lien
avec la peur de s'abandonner
à l'amour.




Pema Chödron - Le désir de changer est une agression envers nous même

Pema Chödron est moine bouddhiste, disciple du maître tibétain Chögram Trungpa. Elle délivre un enseignement d'une grande simplicité qui nous parle directement. Elle nous invite à dire "oui" à ce qui est, sans volonté de changer et toujours avec une très grande douceur, une amitié bienveillante avec soi même.

www.pemachodron.org


La méditation consiste à voir clairement le corps et l'esprit que nous avons, la situation domestique qui est la nôtre, le métier que nous exerçons et ceux qui font partie de notre vie. Elle consiste à voir comment nous réagissons à tout cela. Voir nos émotions et nos pensées simplement, ici et maintenant.

Il s'agit de ne pas essayer de les chasser, ni de devenir meilleur que nous ne le sommes, mais bien de voir clairement, avec précision et douceur. Tout au long de ce mois de méditation, nous travaillerons à cultiver la douceur, la précision innée et la capacité de nous débarrasser de notre étroitesse d'esprit, d'apprendre comment nous ouvrir à nos pensées et à nos émotions, à tous les gens que nous rencontrons dans notre monde, comment ouvrir nos coeurs et nos esprits.
Ce n'est pas un programme d'amélioration ; ce n'est pas une situation dans laquelle nous essayons d'être meilleur que nous ne le sommes maintenant. Si nous avons mauvais caractère et que nous sentons que nous nous faisons du mal à nous-même et que nous blessons les autres, nous pourrions penser qu'une semaine ou un mois de méditation assise suffirait pour chasser ce mauvais caractère - que nous deviendrons cet être doux que nous avons toujours désiré être ; et que nos lèvres blanches comme lis ne prononceront plus jamais de mots durs. Le désir de changer est, fondamentalement, une forme d'agression envers nous même. C'est une première difficulté.
L’autre problème c'est que, heureusement ou malheureusement, ce sont nos complexes qui contiennent notre richesse ; notre névrose et notre sagesse sont faites du même matériau ; si nous rejetons notre névrose, nous rejetons aussi notre sagesse.
Une personne très en colère déploie aussi beaucoup d'énergie, et c'est cette énergie qui la rend attirante ; c'est la raison pour laquelle on l'aime. Il ne faut pas essayer de se débarrasser de sa colère, mais plutôt de s'en faire une amie, de la voir clairement, avec précision et honnêteté et aussi avec douceur. Cela signifie ne pas se juger mauvais, mais aussi ne pas raffermir sa position : «C'est bien que je sois ainsi, c'est correct. Les autres sont insupportables et j'ai raison d'être constamment en colère contre eux".
La douceur implique de ne pas réprimer la colère mais aussi de ne pas lui donner libre cours. C'est quelque chose de beaucoup plus doux et beaucoup, plus franc encore. Ça suppose, après avoir reconnu complètement son sentiment de colère et pris conscience de qui l'on est et de ce que l'on fait, d'apprendre comment lâcher prise. Nous pouvons abandonner les habituels petits scénarios pitoyables qui accompagnent nos colères et commencer à voir clairement comment nous entretenons tout ce cirque.
Ainsi, qu'il s'agisse de colère, de convoitise, de jalousie, de peur ou de dépression - peu importe -, il ne faut pas essayer de nous en débarrasser mais au contraire entrer en amitié avec cela. Cela signifie arriver à le connaître à fond, avec une certaine douceur, et une fois que l'on en a fait complètement l'expérience, apprendre à lâcher prise.
La technique de méditation elle-même cultive la précision, la douceur et la capacité de lâcher prise - qualités innées en nous. Ce n'est pas quelque chose à acquérir, mais bien à mettre en valeur, à cultiver ou à redécouvrir en nous-même.

Pema Chödron - Entrer en amitié avec soi-même - Edition Pocket

mardi 1 avril 2008

Fabrice Midal - Le tantra : chemin alchimique de la transmutation

Fabrice Midal est docteur en philosophie et auteur de plusieurs ouvrages sur la spiritualité. Il enseigne la méditation et permet dans son enseignement de soutenir la rencontre entre le Bouddhisme et l'Occident, en fidélité avec Chogyam Trungpa. L'extrait évoque de se laisser "sustenter" dans l'éventuelle confusion présente dans notre vie pour de nouveau et toujours être avec ce qui est.

www.fabrice-midal.org

Le tantra nous invite à ne rien rejeter, à ne pas mettre de côté tel élément du réel comme étant mauvais, empoisonné ou dangereux. Nous devons entrer en rapport avec tout. Les divinités tantriques bouddhiques se sustentent de la confusion, de la colère, de la haine, de l'esprit de possession, du sentiment de pauvreté, de l' ego. Tout cela constitue pour elles un extraordinaire festin. Le meilleur engrais pour qu'éclosent les fleurs les plus belles.

Suivons leur exemple. N'ayons pas peur de la confusion, qui nous invite à la sagesse si nous apprenons à en opérer la transmutation. Le moyen de le faire est d'entrer véritablement en rapport avec ce désordre, à l'épouser même. Nous savons tous que le vrai terrible n'est pas la colère ni même la haine, mais l'entêtement des hommes à faire semblant qu'ils n'en sont pas atteints, à se justifier encore et encore, à ne jamais entrer en rapport avec la réalité poignante de leur insuffisance.
Pour les adeptes du tantra en revanche, seul ce chemin au travers de la confusion mène pour de bon à l'Éveil. Sa puissance provient de la radicalité de son engagement qui nous invite à ne rien rejeter. Sans confusion, pas de chemin, clame le tantra. En nous provoquant, la confusion ne nous laisse pas sombrer dans la somnolence de l'ignorance, dans un confort anesthésiant. Elle nous force à affronter le réel. Ne la refusons donc pas mais portons-la ouvertement comme un ornement. Les déités tantriques sont parées de crânes humains représentant les divers états mentaux confus : faisons comme elles.
Si nous sommes en colère, se laisser brûler par la colère est la seule manière d'en voir sur-le-champ la luminosité inhérente. Les autres approches - l'apaiser, la comprendre, l'exprimer, c'est-à-dire s'en débarrasser par n'importe quel moyen - restent prisonnières d'une forme de peur. Ces approches conventionnelles veulent éteindre l'incendie, se débarrasser des émotions douloureuses, elles restent ainsi animées par une dose d'agression, non reconnue, contre ce qui est. C'est le problème du moralisme. Il se réfère à des points de repère qui réduisent chaque individu à un cas particulier d'un problème général, niant sa singularité. Il refuse de considérer la situation en elle-même, sa cohérence et son exigence propres.
Le tantra vise à laisser se déployer pleinement ce qui est, afin qu'il soit pleinement vu et reconnu. C'est une attitude tout à fait surprenante pour nous qui cherchons généralement à arrondir les angles, à faire que les choses soient convenables. Le tantra ne craint pas l'échec mais la lâcheté. Il est, pour cela, impitoyable. La transmutation qu'il invite à opérer a ceci de subtil qu'elle ne change pas véritablement le plomb en or, mais reconnaît dans le plomb le support même à partir duquel l'or peut surgir.
On compare parfois le chemin du Petit Véhicule (hinayana), fait de la discipline la plus rigoureuse, au fait de couper un à un les fruits empoisonnés d'un arbre pour éviter de nous intoxiquer. En effet, une attention précise à chacune de nos actions permet d'éviter de nous fourvoyer dans des impulsions inconsidérées. Le Grand Véhicule (mahayana), en reconnaissant la vacuité des phénomènes, en coupant la dualité entre un objet et un objet, déracine l'arbre de l'égarement.
Le Véhicule de Diamant invite à manger le fruit empoisonné de l'arbre pour en faire un élixir de vie et de beauté, comme le paon qui, dit-on, n'hésite pas à consommer du poison pour que ses plumes soient plus belles. Voilà pourquoi le tantra peut être féroce. Il affronte le poison directement, sans hésitation. Sans le moindre doute, sans avoir même besoin d’y réfléchir, le paon prend le poison et en fait un médicament. Il saute dans la confusion et la voilà aussitôt libérée. Au yeux de la plupart des hommes c’est un acte dangereux, fou, agressif. Mais pour lui c’est la seule manière de ne rien refuser du réel. C’est un acte d’accueil unique et profond, et de confiance absolue – de vraie compassion.

Fabrice Midal - Introduction au tantra bouddhique, l'incandescence de l'amour. Editions Fayard