mercredi 25 juillet 2012

Karl Graf Durckheim - Tout se fait en son temps


Un homme de maturité innée est bon parce qu'il comprend tout en fonction de la nécessité du devenir.
 
Il pardonne, et il surmonte son impatience, car il connaît la sagesse de l'Etre qui veut « que tout se fasse en son temps! » Ce n'est pas la mesure de l'achèvement supérieur des formes qui lui importe, car il ne connaît qu'un seul péché : demeurer dans l'isolement égocentrique, dans la séparation, s'arrêter sur le Chemin, qui est finalement la voie de l'Unité. 

Son amour, toujours tendu vers une croissance salutaire, ne se permet plus de répis. Grâce à sa compréhension, il réussit à « dissoudre », nœud après nœud. Il écarte les pierres qui gênent le pas suivant. 

Il ne prive pas autrui des fruits salutaires de la souffrance, car il sait combien elle est fertile, mais il indique comment la transformer d'une manière créatrice. Et jamais il n'oublie que tout ce qui vient de l'Etre, vient à son heure. 



Karl Graf Durckheim - La percée de l'Etre - Editions Le courrier du livre - 



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samedi 14 juillet 2012

Etty Hillesum - Tout est en moi ....



« La vie et la mort, la souffrance et la joie, les ampoules des pieds meurtris, le jasmin derrière la maison, les persécutions, les atrocités sans nombre, tout, tout est en moi et forme un ensemble puissant. 

Je l'accepte comme une totalité indivisible et je commence à comprendre de mieux en mieux pour mon propre usage, sans pouvoir encore l'expliquer à d'autres, la logique de cette totalité. 

Je voudrais vivre longtemps pour être un jour en mesure de l'expliquer ... J'ai réglé mes comptes avec la vie, je veux dire : l'éventualité de la mort est intégrée à ma vie. Regarder la mort en face et l'accepter comme partie intégrante de la vie, c'est élargir cette vie. 

A l'inverse, sacrifier dès maintenant à la mort un morceau de cette vie, par peur de la mort et refus de l'accepter, c'est le meilleur moyen de ne garder qu'un pauvre petit bout de vie mutilée méritant à peine le nom de vie. 
Cela semble un paradoxe : en excluant la mort de sa vie on se prive d'une vie complète, et en l'y accueillant on élargit et on enrichit sa vie. » 

Etty Hillesum - Une Vie bouleversée - 


lundi 11 juin 2012

Rumi : Ne retourne pas dormir ...



La fraicheur de l'aube a des secrets à te dire.
Ne retourne pas dormir.
 
Tu dois demander ce que tu veux vraiment.
Ne retourne pas dormir.

Les gens vont et viennent et ainsi de suite
A l'endroit où se touchent les deux mondes
La porte est ronde et ouverte.
Ne retourne pas dormir.


Rumi


vendredi 25 mai 2012


Quand l'homme vient au monde, il est souple et faible ;
quand il meurt, il est raide et dur.
Quand les plantes naissent, elles sont souples et tendres ;
quand elles meurent, elles sont sèches et arides.
La raideur et la dureté sont les disciples de la mort ;
la souplesse et la tendresse, les disciples de la vie.
Ce qui est dur et raide sera brisé.
Ce qui est souple et tendre l'emportera.


Lao-Tseu - Tao Te King -

mercredi 25 avril 2012


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Karlfried Graf Dûrckheim - Devenir un avec la source de notre être



La petite feuille du grand arbre! Si la feuille était douée de conscience, ne serait-elle pas, en automne, sous l'emprise du sentiment de sa mort prochaine? 
Assurément, si sa conscience ne contenait rien d'autre que la feuille, la feuille en soi. Alors elle sentirait qu'elle jaunit, qu'elle commence à sécher, qu'elle va bientôt tomber, jouet du vent, victime de puissances destructrices. 

Supposons maintenant que la feuille puisse avoir conscience que ce qui vit en elle n'est pas seulement la feuille mais en même temps l'arbre
Elle saurait alors que sa vie et sa mort annuelles sont un mode d'être de l'arbre. Elle serait consciente que la vie de l'arbre est en elle, que la Vie inclut non seulement sa petite vie mais sa petite mort. Et instantanément, l'attitude de la feuille, face à la vie, et face à la mort serait transformée; l'angoisse disparaîtrait et tout prendrait un autre sens.

Les angoisses de l'humanité correspondent à celles de la feuille qui s'arrête à sa conscience de feuille, c'est-à-dire qui est prisonnière de la petite réalité immédiate, des sens, de la raison et, qui est incapable de sortir de ses frontières. 

A la conscience que nous avons en général de la vie, manque la conscience de notre être profond. Pour que celle-ci puisse percer, il nous faut réviser celle-là, reconnaître combien elle est bornée. Il nous faut prendre au sérieux les heures privilégiées de notre existence, c'est-à-dire en reconnaître les signes, et laisser s'épanouir la grande Vie qui est en nous. 

Seulement ainsi, pouvons nous entrer en contact avec notre être vrai. Car cet être est notre façon individuelle de participation à la Grande Vie. Et la maturité, qu'est-elle d'autre que la manifestation de notre participation à travers notre vie quotidienne?

Devenir un avec la source de notre être : tel est le chemin de la maturité intérieure. Le tout est de comprendre les signes, de les écouter, et de les suivre fidèlement.


 Karlfried Graf Dûrckheim - La percée de l'être - Editions Le Courier du Livre 

 

lundi 16 avril 2012

Jon Kabat-Zinn - Connaître l'ici et le maintenant pour la première fois


Des membres d'une tribu africaine avaient été employés pour aider une équipe de télévision américaine munie d'un lourd équipement à traverser la jungle, jusqu'à la ville. Pressés par le temps, les journalistes avaient insisté pour progresser à un rythme soutenu, qu'ils étaient parvenus à maintenir durant quelques jours.

Finalement, à une journée de marche de la destination, les porteurs avaient refusé de faire un pas de plus en dépit de toutes les supplications, exhortations et promesses. Les Américains avaient souligné d'un ton implorant qu'ils étaient presque arrivés, qu'un dernier effort les conduirait au terme de leur voyage. Mais les membres de la tribu étaient restés inflexibles.

Pourquoi? Parce qu'ils avaient avancé à un rythme si peu naturel qu'ils devaient s'arrêter quelque temps pour permettre à leur âme de rattraper leur corps.

Car ce n'est que lorsque nous arrivons et sommes présents pleinement, en dehors de la pensée et pleinement dans nos sens, que nous pouvons atteindre un endroit. Pouvons-nous nous assurer, au fond, que «le terme de toute notre exploration ... [soit] d'arriver là d'où nous sommes partis et de connaître cet endroit pour la première fois» ?

Pour T. S. Eliot, il ne fait aucun doute. Nous le pouvons! Nous le pouvons!
"Nous ne cesserons d'explorer
Et le terme de toute notre exploration
Sera d'arriver là d'où nous sommes partis
Et de connaître cet endroit pour la première fois.
Franchir la porte inconnue et reconnue
Quand le dernier coin de terre à découvrir
Sera le commencement même ;
À la source du plus long des fleuves
La voix de la cascade cachée
Et les enfants dans le pommier
Non connus car non recherchés
Mais entendus, à demi entendus, dans le calme
Entre deux vagues marines." *

Mais que pourrait signifier arriver là d'où nous sommes partis et connaître cet endroit pour la première fois? Et comment y parvenir? Quand en prendrons-nous conscience? Savons-nous au moins que nous avons déjà ce qu'il faut, et que nous le sommes? Savons-nous que nous sommes déjà là ... Ou, plutôt, ici ?

Peut-être que tout est déjà bien ... parfaitement ce qu'il est. Parfaitement tel qu'il est. Maintenant. Arrivant. Atteindre l'ici. Atteindre le maintenant. Et connaître l'ici et le maintenant pour la première fois, moment après moment après moment.

Jon Kabat-Zinn - L'éveil des sens. Vivre l'instant présent grâce à la PLeine conscience" - Editions Pocket
*T. S. EUOT, « Little Gidding », Quatre Quatuors



samedi 24 mars 2012



Quand l'esprit à fait sa demeure dans un homme,
celui là ne peut plus cesser de prier.
Car l'esprit alors prie constamment en lui.
La prière respire spontanément dans son cœur.

St Issac Le Syrien (Prête orthodoxe du VIIè siècle)


vendredi 16 mars 2012



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Goethe - S'engager avec audace



Tant que nous ne nous engageons pas, le doute règne, la possibilité de se rétracter demeure et l'inefficacité prévaut toujours.

En ce qui concerne tous les actes d'initiatives et de créativité, il est une vérité élémentaire dont l'ignorance a des incidences innombrables et fait avorter des projets splendides. Dès le moment où l'on s'engage pleinement, la providence se met également en marche. Pour nous aider, se mettent en œuvre toutes de choses qui n'auraient jamais eu lieu autrement. Tout un enchaînement d'événements, de situations et de décisions crée en notre faveur toutes sortes d'incidents imprévus, des rencontres et des aides matérielles que nous n'aurions jamais rêvé trouver sur notre chemin ...

Tout ce que l'on peut faire ou rêver de faire peut être entrepris. L'audace renferme en soi génie, pouvoir et magie.


Goethe - Le pouvoir de l'engagement -


vendredi 9 mars 2012

Méditons notre tristesse ?


La tristesse peut devenir une expérience très enrichissante. Pourquoi ne pas entrez en elle et voir ce qu´il en est ?

Toutes les fois où nous nous sentons triste, asseyons-nous silencieusement et permettons à la tristesse de venir, n´essayons pas de nous en échapper. La tendance ordinaire est de ne pas la permettre, de trouver quelques moyens et façons de sorte que nous puissions regarder ailleurs (aller au restaurant, à la piscine, rencontrer des amis, lire un livre ou aller voir un film, jouer de la guitare) faire quelque chose, de sorte que nous puissions être occupé et notre attention portée ailleurs.

Nous devons nous souvenir de ceci - lorsque nous nous sentons triste, ne perdons pas l´occasion. Ainsi vivons d´abord la tristesse pendant quelques temps et au moment où le dynamisme de la tristesse disparaîtra, nous nous sentirons très calme, paisible - comme l´on se sent après un orage.

Asseyons-nous alors silencieusement dans ce moment et apprécions le silence qui vient de lui-même. Nous ne l´avons pas apporté, nous apportions la tristesse! Lorsque la tristesse s´en va, dans le sillage, le silence se pose.

Écoutons ce silence. Fermons nos yeux. Percevons-le... sa texture même... son parfum. Et si nous nous sentons heureux ? Alors, chantons, dansons notre joie.


Inspiré d'un texte d'Osho.


dimanche 12 février 2012



Celui qui veut apprendre trop vite,

celui qui travaille trop vite,
raccourcit sa vie.
Quand le calme est là,
et aussi une certaine lenteur dans la chose,
la vie devient plus longue.

Kestenbesta


vendredi 10 février 2012

Maurice Bellet - Traverser "l'en-bas"

Maurice Bellet est écrivain. Ses zones de travail et de recherche sont au croisement de la philosophie, de la théologie et de la psychanalyse. Ses principales activités sont outre de nombreuses interventions et conférences, l'exercice d'une activité d’écoute psychanalytique ; la part la plus considérable des activités étant consacrée à l’écriture (livres, articles).


Ce qu'il faut comprendre ou plus modestement entendre, c'est que l'en-bas est hors de toutes les explications et interprétations, hors d'atteinte.

Si quelque chose ou quelqu'un peut descendre là - rejoindre celui ou celle que dévore la déesse noire -, eh bien, rien à faire: il faut que ce soit quelque chose ou quelqu'un d'en bas.

Mais comment serait-ce possible ?
Qui peut s'en aller par là sans se perdre ? Et le cœur de l'affaire est peut -être ceci : l'en-bas, il faut le traverser. Pas d'évasion, pas de sortie par en haut.
Où donc est l'issue ? Où est le je-ne-sais- quoi, le changement, la mutation, qui n'enlève rien mais qui change tout ?
Tout, ou très grande part des discours, des exposés, sert simplement à masquer, refouler l'en-bas, y compris et surtout quand on en parle.
L'en-bas est - par nature ! - en dessous de toutes les interprétations et explications. Dès qu'on explique et interprète, on est hors de lui.

Car ce n'est pas une chose, un état, un définissable. Il est tout entier dans le rapport que l'être humain a avec lui : c'est le rapport à l'obscur, à la ténèbre, au nœud meurtrier. Du dehors, après, quand vous voudrez, c'est ceci ou cela. Dedans c'est l'imprononçable, l'innommable.
Et l'innommable fuit et s'enfonce derrière tous les discours, tous les savoirs.
Il hante l'arrière-pays de la psychanalyse elle-même.

Compulsion. : le président Kennedy court les filles. «Voyons, monsieur le Président ? - Je ne peux pas m'en empêcher.»
L'obsession sexuelle, l'alcool, la drogue, la fugue, les accès de violence, et, pour le pire, viol ou meurtre. «Je ne peux pas m'en empêcher. »
Du dehors, l'inadmissible. Du dedans, une culpabilité épouvantable.
On traîne ça comme un boulet. Quelquefois, souvent, c'est invisible – avec le risque d'apparaître un beau jour en pleine lumière. La vie bascule.

Ou bien, perversion : on considère le pire comme normal, ou plutôt on se refuse à toute norme. On n'en est même plus à la douleur. On est dévoré par l'abîme.
Infernale nécessité.

Comment peut-on en venir là ? Mille chemins, millions d'histoires à chaque fois singulières. Les parents sans doute, les aïeux, toute la généalogie. Et quelque chose qui a manqué, qu'on a manqué. Une marche dans l'escalier. Un visage. Un pas qu'il fallait faire ; ou ne pas faire. Et maintenant: c'est ainsi.

Les êtres humains ne sont pas cohérents: premier principe de notre connaissance d'humanité.

C'est pourquoi vous pouvez être en haut et en bas. Vous pouvez être d'assez belle allure (morale, j'entends), et intelligent, et efficace, et reconnu tel, avec de belles aspirations, de grands sentiments, le tout sincère et honnête - et pourtant avec, dans votre vie, l'inavouable, le ver dans le fruit.

Un passé irréparable, qui vous poursuit sans pitié, une douleur d'amour qui déchire encore et encore, un vice - la bouteille, la drogue, les petits garçons - ou tout bonnement, tout purement l'infernale tristesse qui défait tout, qui pourrit tout, et dont la source noire est introuvable.


Les maîtres et seigneurs n'ont aucun pouvoir sur l'en-bas. Les maîtres du savoir n'y descendent pas; ou ils s'y perdent, ils s'égarent; ils deviennent fous.
Ô qui peut descendre là, être parmi eux, parmi nous, celui qui n'est pas complice de ce qui nous tue ? Celui dont la tristesse même est vierge de la ténébreuse tristesse où s'anéantit notre naissance ?

Quelle prière pourrait monter de l'en-bas vers quel Dieu, vers quel visage de quel Dieu, pour que nous soyons consolés ? Comme par une mère qui n'a pas peur du mal de son enfant, comme par un père qui préfère la vie du fils à toute gloire et à tout bonheur ?
Nous n'appellerons personne, père ou maître. Car personne, en bas, ne peut porter une charge si terrible.


Maurice Bellet - La traversée de l’en-bas - Editions Bayard


mercredi 25 janvier 2012


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K. G. Durckheim - La maturité ou l'homme renouvelé



Quels sont les signes de non-maturité spirituelle? Quels sont ceux de la maturité?

La première vertu spirituelle est une objectivité incorruptible. Le jugement d'un homme mûr n'est plus soumis à sa subjectivité; il parle des choses telles qu'elles sont. Il est libéré de son petit moi, de ses angoisses et de ses désirs qui lui cachent la vérité des choses; il est ainsi dépourvu de la rigidité d'une opinion définitive. Mûrir, c'est apprendre toujours à nouveau.

La non-maturité se distingue également à travers un manque de distance, de « recul» ; elle est craintive, impatiente, volontaire, impulsive et orgueilleuse. L'homme est lié aux choses par des liens purement subjectifs, en sorte qu'il n'est pas capable de les reconnaître telles qu'elles sont, et de les laisser parler par elles-mêmes.

La seconde vertu spirituelle est une calme assurance reposant sur un ensemble de valeurs objectives. L'homme non mûr manque de rectitude; dans la poursuite de ses buts il est instable, influençable, toujours prêt à suivre d'autres maîtres. Il a quelque chose de vague, de louvoyant. Ses entreprises comme ses enthousiasmes ne sont que feu de paille et se refroidissent pour un rien. Ce qui lui manque: la formation d'un principe spirituel supérieur et, par conséquent, la capacité d'une conscience qui le tienne « en ligne ».

La troisième vertu est le témoignage de la profondeur. L'homme et l'œuvre qui stagnent toujours en surface ne peuvent pas mûrir. Les connaissances restent superficielles, les opinions manquent de conviction. Une œuvre spirituelle est d'autant plus mûre qu'elle a de la profondeur c'est-à-dire que quelque chose luit au travers d'un arrière plan. Le chef-d'œuvre a toujours une transparence vers un au-delà. Il est perméable à la Transcendance. C'est également la raison pour laquelle l'homme mûr dépasse toujours la médiocrité naturelle.

La maturité nous affranchit des limites du temps, elle brille d'une lumière qui vient de l'au-delà. Ces possibilités ne sont offertes que dans la mesure où l'esprit humain domine le petit moi qui, enfermé dans le cercle de l'intelligibilité naturelle se barre le chemin conduisant à l'essence des choses. La maturité spirituelle est donc toujours précédée d'un développement psychique, d'une métamorphose intime, d'un élargissement de la personne qui dégage le Soi profond du petit moi. Aussi longtemps que celui-ci domine, l'individu tourne autour de lui-même, ne pensant qu'à sa propre importance, sa sécurité, ou sa puissance. Afin de vaincre le moi, il faut vaincre sa susceptibilité et sa peur de la souffrance.

Ce qui nous frappe avant tout chez un individu manquant de maturité vis-à-vis de lui-même, c'est sans cesse le besoin d'être approuvé ; il ne tolère pas la moindre critique. Il est toujours prêt à bondir pour se justifier. Il n'a pas d'assurance intérieur. Pourquoi ? Il ne repose pas en son vrai centre, ou il ne l'a pas encore trouvé, n'ayant pas reconnu son être. C'est pourquoi il lui manque la marque fondamentale de la maturité: le calme inébranlable; quiconque l'atteint ne peut plus être blessé personnellement. Ce qui renverse la personne non mûre - une lourde perte, une déception, une brutale injustice - sera l'occasion, chez l'homme mûr, d'un accroissement de sa maturité; la vraie maturation n'ayant pas de fin. C'est donc encore un signe de maturité que de rester ouvert à la transformation perpétuelle.

Le second signe de maturité personnelle est une sérénité qui ne se laisse jamais assombrir. L'homme non mûr, n'est jamais en paix, ni avec lui-même, ni avec le monde; il est toujours en désaccord avec lui-même et avec Dieu. Et il ne sait pas plus rire de son propre ridicule que de celui du monde. Il ignore l'humour. De là son éternel passage de la résignation à la révolte. L'homme mûr n'en voudra jamais à la vie car, à travers son non-sens même, il y découvre un sens plus profond.
Il accepte avec le sourire ce qui le contrarie, et la fermeté de son âme lui donne la force de transformer l'existence grâce à l'expérience de l'Etre.

Le troisième signe de maturité personnelle est une bonté immuable. Il est des hommes entreprenants et très sérieux, mais auxquels manque la capacité d'aimer. Chez l'homme mûr vit l'Unité des êtres dans l'Etre. C'est pourquoi son amour n'est pas dépendant de la sympathie ou de la reconnaissance d'autrui. La bonté rayonne de son être indépendamment de lui-même.


K. G. Durckheim - La percée de l’être, ou les étapes de la maturité - Editions Le courrier du livre


vendredi 20 janvier 2012

Henri Bauchau - Je m'éveille...

Henri Bauchau est écrivain, poète. Il a aujourd'hui 96 ans et a édité ce recueil de poèmes en 2011.


Je m'éveille, je fais le salut au soleil.
Le mince soleil à l'est qui filtre entre deux maisons.
Je me prosterne de tout mon corps, ne le pouvant en esprit.
La tristesse de cette nuit ne s'est pas dissipée.
Je parcours plusieurs fois la minime étendue de notre appartement.
.......
J'élève les bras en cadence,
en répétant ce qu'a dit Maître Eckhart :
c'est chaque jour la fête de l'existence de Dieu.
.......
Est ce que Maître Eckhart ne doutait pas de l'existence de Dieu?
Comment échapper au doute?
L'existence de Dieu, il la vivait.
La vivre, tu n'en est pas là.
.......
Je fais vivre mon corps. Je lui parle.
C'est chaque jour le jour de la fête de l'existence.
Le sourire nait sur mes lèvres surprises.
Il se maintient.
La profondeur de la nuit.
.......
Peux tu dépasser le désir, atteindre l'aimante plénitude?
Tu ne peux pas, Maître Eckhart. ne l'a pas pu non plus.
Notre rôle est d'attendre, attentifs,
devant la porte qui s'ouvre ou qui ne s'ouvre pas.

Si tu ne peux plus saluer le soleil avec ton corps,
Salue-le en sourire.


Henri Bauchau - Tentavives de louange
(extrait) - Editions Actes Sud


dimanche 15 janvier 2012

Alexandre Jollien - Ce n’est pas compliqué


"Ce n’est pas compliqué". Un mien ami prononce souvent cette phrase. Dès qu'une difficulté se présente, alors que j'ai tendance à me perdre dans les remords, les regrets, bref, le passé conditionnel - « Ah, si on avait fait ça! », « Si seulement il y avait eu cela! »... -, il m'aide à doucement revenir au réel en disant : « Ce n'est pas compliqué. » Et à chaque fois, je le vois poser un acte qui soulage, un acte concret, banal souvent, mais qui ouvre l'horizon et fait évoluer la situation qui paraissait une calamité à mes yeux.

Je rate un train, ce n'est pas compliqué, je prends le suivant. On se moque de moi dans la rue, ce n'est pas compliqué, j'observe ma tristesse et je n'en fais pas des tonnes. Ce refrain, loin de banaliser les tracas quotidiens, loin de nier les plus grandes épreuves, invite à cesser de se réfugier dans l'immobilisme, à ne pas tomber dans les commentaires intérieurs qui nous égarent à discuter le réel plutôt qu'à passer vraiment à l'action.

Oui, plus d'une fois, face à un problème technique, un ordinateur rétif, la difficulté de mettre une carte de crédit dans un appareil bancaire, je me perds en d'inutiles considérations, je peste contre la réalité, ce qui ne résout en rien la question, au contraire.

« Ce n'est pas compliqué» me ramène à ce que j'ai sous les yeux et m'aide à trouver une solution concrète, à voir la situation bien en face et à agir en conséquence : demander de l'aide, patienter, ralentir. .. Voilà ma nouvelle ascèse : ne pas en rajouter.

Depuis peu, je cherche à simplifier mon mode de vie. Je le confesse, depuis dix ans, je me lève presque chaque jour avec une première pensée: « J'en ai marre. » Et j'observe que ce premier sentiment n'est pas incompatible avec la joie. Je peux en avoir marre et repérer en moi une parcelle de mon être qui demeure joyeuse. Longtemps, j'ai voulu évacuer le « j'en ai marre» matinal par toutes sortes d'exercices spirituels. Et pourtant, ce n'est pas compliqué! S'il s'impose, je peux l'accueillir en toute simplicité, comme un moment du jour qui passera. Et je constate que le dernier mot qui conclut mes journées est immanquablement un « merci ». Le retour au réel me conduit à ne pas en rajouter.

Aujourd'hui, je n'en ai plus marre d'en avoir marre, je l'accepte comme une réaction presque naturelle. Et la phrase de mon cher ami m'aide à assumer le quotidien tel qu'il est, imparfait. J'apprends que le bien et le mal, la joie et la tristesse peuvent cohabiter, en paix allais-je dire.

Le « j'en ai marre» matinal me montre toutefois précisément que, dans ma vie, j'en fais trop. Aurais-je oublié la difficulté de ma condition? Oublié ce corps souvent fatigué que j'ai tendance à mépriser en le sollicitant à l'excès? Ce n'est pas compliqué. Je désire vivre plus simplement. Peut-être d'abord me faut-il me fixer moins de buts pour quitter le superflu. Car ce qui me stresse plus que tout, c'est de ne pas avoir le temps. Faute de temps, tour imprévu est perçu comme chronophage, comme de trop, justement. Depuis peu, chaque matin, je me fixe deux ou trois objectifs, l'essentiel en un mot: « Qu'est-ce qui compte vraiment? », « Qu'est-ce que je désire réellement accomplir aujourd'hui? », et le reste suit, il se fait de surcroît.

Le même ami me dit fréquemment que « qui trop embrasse mal étreint ». Souvent, en rencontrant une personne, en l'écoutant, je songe déjà à l'activité que j'accomplirai ensuite. Et assurément, dans cet état d'esprit, on étreint mal la réalité.


Alexandre Jollien. Chronique, Le Monde des Religions. Janv-fév 2012


samedi 31 décembre 2011


L’an pointera enfin son nez dans le coin
entre la mi-nuit et le jour à peine né
Ainsi réunie l’an-née pourra s’épanouir
dans le joyeux décompte de son impermanence.

La délicatesse du passage sonnera la cadence
et donnera le pas
L’inconnu tiendra encore le fils
et s’harmonisera comme de bien entendu
Avec l’ordinaire et toutes nos histoires bien entretenues.

Émerveillés par la magie fugace et trépidante de son tour du monde
Nous contemplerons comme si c’était toujours la première fois
Le chariot flamboyant des 2012 étoiles invitées à danser …
Dans la ronde tout en mystère de chaque instant à vivre.


vendredi 30 décembre 2011

Bertrand Vergely - Le lien à la vie fondamentale qui vit en nous

Que cet extrait du texte de Bertrand Vergely, philosophe, puisse soutenir tous les chercheurs en chemin, pour accéder encore et encore à la profondeur de l'être et déployer la paix.


Tout être humain a des racines ontologiques et pas seulement terrestres. Il ne le comprend qu'en prenant conscience que pour être lui même, il faut être, tout court.

Etre veut dire que l'on accepte de recevoir en soi la source de toute vie, dont la sienne, en se laissant habiter par cette source. Celle ci n'est pas seulement ce courant de vie récapitulant toute l'évolution. Elle va au delà de ce courant, dans les profondeurs de l'origine, qui relève d'un immense amour pour la vie et les hommes.

La plongée en soi même révèle l'être des profondeurs. En le faisant surgir, elle fait monter une immense paix. Pour soi, pour le monde. Paix de savoir qu'existe une vie plus profonde que les apparences. Paix de se sentir vivre pour la première fois, de découvrir que cette paix parle aux autres. Comme si le monde l'attendait secrètement, et s'il était heureux de pouvoir se dire : "Enfin, un homme en paix."

C'est en appelant à exister la profondeur de soi qu'on la fait apparaître. Cela s'appelle prier ou méditer. En se liant d'une façon fondamentale à la vie fondamentale qui vit en soi, on transforme non seulement sa vie, mais le monde.


Bertrand Vergely - La foi ou la nostalgie de l'admirable - Editions Albin Michel