lundi 24 mai 2010

Thierry Janssen - Avec humilité, avec humanité...



Trois ans déjà que Christiane Singer nous quittait au terme d'un long voyage dont elle laissait quelques derniers fragments dans un murmure apaisé. Trois années durant lesquelles de nombreuses personnes m'ont confié leur chagrin et leur incompréhension face à ce qu'elles considéraient comme une injustice, un illogisme. Car, s'interrogeaient-elles, comment une femme «aussi évoluée» que Christiane Singer pouvait-elle «avoir attrapé un cancer» ? Comment une personne ayant développé autant de lucidité à propos d'elle-même et des autres avait-elle pu tomber malade?

La question me fut posée à l'issue de presque toutes les conférences que j'ai prononcées depuis le départ de notre amie. S'interroger de la sorte suppose que l'on considère les maladies et le cancer en particulier comme la conséquence d'un manque de conscience, d'un aveuglement ou d'une incapacité à vivre «éveillé». Cela laisse penser que nos maux sont provoqués par nos inhibitions, par nos refoulements et par nos conflits émotionnels, psychologiques ou peut-être même spirituels. Il n'est pas étonnant, dès lors, que certaines personnes puissent croire qu'un travail de développement personnel, une démarche psychologique ou un engagement spirituel protègent du mauvais sort. A condition toutefois, disent-elles, d'avoir suffisamment travaillé et d'avoir atteint un état «aussi évolué» que celui auquel serait parvenue Christiane Singer.


Certes, la qualité de nos pensées et de nos émotions influe sur notre santé. Cependant, les déséquilibres qui conduisent à la maladie ne sont pas tous d'origine psychique. A l'image de la vie dont elle est une manifestation, la maladie est un phénomène éminemment complexe. Elle est rarement le fait d'une seule cause, fùt-elle psychologique ou émotionnelle. Elle est, le plus souvent, le résultat d'un ensemble de facteurs qui, séparément, ne sont pas toujours pathogènes mais, en synergie, finissent par créer la fragilité et le déséquilibre.


La maladie est avant tout un phénomène multifactoriel, une tentative de la vie de rétablir une harmonie dans une situation perturbée. Une tentative qui, parfois, conduit à la mort.

Certaines personnes qui m'entretenaient à propos de Christiane Singer s'étonnaient de plus que celle-ci ne soit pas parvenue à se guérir. Elle qui était «si lumineuse» ! Hélas, la guérison est, elle aussi, un phénomène complexe, faisant intervenir de nombreux éléments au rang desquels il ne faut certainement pas sous-estimer les forces de la pensée. Néanmoins, les processus matériels ont leur propre logique. Le temps et l'espace ont leurs propres contingences.


La maladie nous rappelle à l'humilité, à l'humus dont nous sommes nés. Elle nous confronte à notre humanité. Face au chaos qu'elle provoque dans nos existences, il peut être ainsi tentant de se rassurer à l'aide d'une pensée magique. Croire que notre évolution de conscience est un gage de bonne santé, penser que notre développement personnel et spirituel garantit notre guérison: l'illusion de la toute-puissance n'est pas loin. Car, même si cela peut être vrai (en partie du moins), que savons-nous réellement de ceux que nous admirons comme des modèles de développement personnel ou d'évolution spirituelle?


Que savons-nous des zones d'ombre qui, peut-être, abritent certaines causes à l'origine de leurs souffrances? Découvrir que nos modèles de vie - ces guides qui nous paraissent avoir acquis une meilleure compréhension de l'esprit des choses et des êtres - sont vulnérables nous renvoie à notre propre fragilité. L’accepter est peut-être le secret d'une conscience véritablement éveillée. C'est peut-être cela, qu'au travers de son long voyage et de ses livres, Christiane Singer a essayé de nous dire. Avec humilité, avec humanité.



Thierry Janssen - Chronique du Magazine Réel


samedi 8 mai 2010

Marc de Smedt - Réveiller l'enthousiasme dans les coeurs



Notre société est traversée de tourbillons qui sont ceux du temps : la contestation sociale s'y mêle à l'inquiétude, la résignation au manque d'espoir, les calculs politiciens aux attentes déçues. Une certaine sinistrose habite ce vieux pays fatigué qui est pourtant une des régions de cocagne du monde, un lieu favorisé par sa situation et ses ressources naturelles.


On parle pourtant trop peu d'un courant puissant qui traverse toutes les couches de la société française et européenne et que je définirais comme une révolution silencieuse : celle-ci se compose de toutes ces personnes qui décident de ne pas se laisser avoir par le marasme ambiant ni par la dépression globale et individuelle, et qui font l'effort de se prendre en charge intérieurement pour au moins évoluer dans leur être propre, éclaircir leur conscience, se rendre capable d'actions justes afin d'essayer de vivre en harmonie avec soi-même et avec autrui.

Ces personnes-là apprennent à fabriquer du sens dans leur vie, à collectionner des moments heureux, à réveiller l'enthousiasme dans les cœurs et l'énergie vitale dans leur corps, bref à être bienfaisants au sens large, et pour eux-mêmes et pour autrui.

Cette révolution, sans bruit mais pas sans paroles ni actes, prend diverses formes et se banalise à petits pas : voir l'intérêt pour le bio et les médecines douces, le nombre de cours de yoga et de «gymnosophies» diverses pour comprendre qu'il se passe quelque chose de fort et qu'un besoin s'exprime là, comme si la sagesse inhérente à chaque être humain partait en quête d'elle-même.

Lassés de ce que la société propose en termes de santé, de mieux-être, de divertissement et surtout de prise en charge des problèmes personnels, à quoi s'ajoute une impression généralisée que tout va de travers, des gens de plus en plus nombreux prennent leur destin en main et partent en quête de sens.


Marc de Smedt - Extraits de l'Editorial du magazine Nouvelles Clefs


samedi 1 mai 2010

Michel Random - L'art de nouer le ciel et la terre...



Qu'est-ce que l'accord de la vie sinon l'alliance de l'être et du non-être? Nous disons que nous allons de la forme à la non-forme c'est-à-dire au vide, tout en nous rendant bien compte qu'il est presque impossible de concevoir un vide qui que soit pas une forme. De même nous sommes dans le temps et l'espace et pourtant nous concevons qu'il existe un point stable, c'est-à-dire un présent permanent.
Autrement dit toute approche de la connaissance est un paradoxe permanent, l'investigation du champ des Possibles par l'idée, l'imaginaire ou le mouvement. Et quoi que nous fassions il est évident que nous ne serons jamais que les danseurs éternels de cet être et de ce non-être, et que faute de pouvoir le dire, le vivre ou l'exprimer nous allons néanmoins tenter ce prodigieux voyage qui, au-delà des fascinations intérieures, conduit à ce qui est, nous accorde au rythme, au souffle, à l'esprit universel, laissant en quelque sorte chanter et danser l'espace, le temps, le mouvement. Alors se dessine la perception d'une autre dimension que nous pourrions nommer l'ivresse de la non-séparation.

C'est ainsi que, par cette fusion créatrice, l'homme est sans cesse dans le devenir, dans le monde de l'étonnement, dans le voyage de ces consciences éveillées qui tout à coup savent ce qu'elles croyaient ne pas savoir. II y a là un prodigieux apprentissage, une fête de l'esprit, une liberté dans la liberté. II y a là le bonheur de découvrir la grâce éternelle du vivant qui est «amour» au sens où les dualités, les peurs et les oppositions s'effacent.
Nous parlons toujours de l'œuvre à faire, en oubliant que nous sommes nous-mêmes le «GrandŒuvre», que la transmutation alchimique de nos énergies, de nos facultés et de nos pensées est le but même du vivant en action en nous. Tant et si bien qu'on peut dire que la mort est l'opposition consciente ou non au rythme universel qui en nous désire l'éclairement, l'apparition de ce soleil d'or qu'est notre conscience éveillée au sens où elle est libre de toutes angoisses, au sens où elle chante par toutes les formes de l'être l'incessante ivresse du vivant.

Nous avons ancré dans notre esprit l'éternelle litanie des termes contraires : le haut et le bas, le bien et le mal, le conscient et l'inconscient, etc.
Or si la connaissance n'est pas fusion nous ne pouvons rien faire, nous resterons à jamais dans la loi de la causalité, de l'accident, donc de la souffrance. C'est un vieux manichéisme occidental qui nous dit que la souffrance est nécessaire au salut. La souffrance existe comme résultat et conséquence de ce qui est séparé et divisé en nous, des idées que nous nous faisons sur l'ombre et la lumière. Mais la souffrance elle-même est effacée, quand la danse de ce qui est apparaît, quand le «corps de lumière» comme diraient les maîtres soufis, se manifeste comme un corps-conscience, c'est-à-dire une conscience ouverte, sans limite, et qui sait intuitivement ce qui ne peut se concevoir.

Alors est effectivement réalisé ce «corps d'or» c'est-à-dire ce corps où toutes les énergies se sont accordées, et où il n'existe plus ni ciel ni terre, ni haut ni bas, mais la danse et la manifestation indéfinie et incessante de l'être et du non-être.


Michel Random - Préface du livre de G. Brunon. Editions Savoir Etre