jeudi 28 mai 2009

Daniel Odier - L'abandon au souffle profond...


www.danielodier.com



La sexualité du tantrika, c’est le rapport de toute la sensorialité avec le monde. C’est le frémissement qui naît lorsque le désir se satisfait de sa propre incandescence en ayant abandonné toute idée d’atteindre un être ou un objet. Il y a alors complétude. Un être qui a besoin de l’autre pour masquer son incomplétude, ou pour la nourrir, ne connaît que des «rapports sexuels», une tentative illusoire d’achèvement qui tient du cannibalisme mutuel et porte en lui de la violence, du désespoir et une certaine forme de désillusion.

Pour celui qui est sur la voie tantrique, l’union sexuelle peut être une manière de jeu merveilleux qui commence à être vécu, par instants de grâce, comme une expérience directe, sans que la pensée différenciatrice s’impose. C’est un jeu passionné sur un terrain accidenté où l’aspirant touche aux limites de son abandon, au surgissement de la pensée, au blocage de la spontanéité, au manque de confiance qu’il peut avoir quant à la sagesse de son propre corps.

Lorsque cela peut être vécu de cette manière, c’est une ascèse, car on s’aperçoit très vite de nos limitations, de nos projections, de notre solitude que nous cherchons à masquer au lieu de la vivre. Aller au fond de sa solitude, c’est voir qu’elle est une construction mentale et la faire éclore dans l’expérience non-duelle.

Ces jeux nous aident à frôler l’essence des choses et, lorsque la paix profonde de la yogini accomplie touche la paix profonde du yogin, se révèle la puissance de la Shakti qu’on appelle Kundalini. À cet instant, il n’y a pas de dualité, pas de début, pas de fin, pas de «rapport», mais un frémissement qui, comme l’amour, ne saurait naître, atteindre son acmé puis disparaître.
Lorsqu’il y a sexualité, il n’y a plus d’espace-temps. Il ne s’agit pas de transcender le désir mais, au contraire, de le porter à une telle incandescence qu’il inclut «l’autre» dans son propre frémissement.

La sexualité est, dans l’égalité avec toute autre manifestation de la sensorialité, un lieu de Conscience. La sexualité, dans le sens où nous l’entendons habituellement, est intégrée au tout. Pratiquement, il y a un abandon au souffle profond. Alors, l’orgasme n’a plus besoin de la détente de l’éjaculation, car le tantrika a intégré l’énergie féminine. L’idéal tantrique est celui de l’intégration de la dualité homme-femme dans la plénitude.
Il est capital de bien comprendre qu’on ne dévoile pas la Conscience à coups d’exercices énergétiques, d’agitation, de gesticulations, de danses pseudo-chamaniques et autres friandises du «faire», mais par la lente et douce émergence de l’amour sans objet, qui attend paisiblement que nous cessions de poursuivre l’inatteignable.

Le tantrikâ considère qu’entrer dans la voie, c’est accepter son corps, sa sensorialité, ses émotions et ses pensées comme le lieu même de l’éveil. Mais il considère également que ce noyau de conscience incandescent est sous-jacent à toute manifestation de l’univers. Tout n’est que conscience, pour lui. Sa pratique est donc de laisser affleurer la conscience dans tous les mouvements de la vie, afin que la conscience intérieure et la conscience extérieure s’unifient dans leur réalité commune, et que cesse la perception fallacieuse de la dualité.

Cette non-séparation du tantrikâ et de l’univers me paraît merveilleusement adaptée à tous ceux qui sont insatisfaits par les dogmes, les croyances et l’assujettissement à une autorité religieuse. Pourtant, c’est une voie difficile, car elle passe par l’abandon de tous les points d’ancrage et nous, les Occidentaux, en avons beaucoup. Ce n’est surtout pas une voie de facilité, et nous aimons la facilité ; nous aimons tout ce qui nous détourne de notre solitude. C’est une voie théoriquement simple mais pratiquement ardue, parce que non fantasmatique, sans aucune échappatoire, sans possibilité de fuite dans le merveilleux, le rituel, la magie, les vies antérieures, les autres mondes, la métaphysique.

Le tantrika peut passer de l’absence à la présence progressive, donc à la sensibilité toujours plus profonde de ce qui est là, spatial, étincelant, entrecoupé de moments d’absence qui sont considérés comme des préludes au rejaillissement de la Conscience. La culpabilité graduellement s’éteint et la spontanéité s’accroît. Lorsqu’il y a ouverture, nous pouvons accepter notre trouble ou notre absence.

L’émerveillement devant la réalité croît de jour en jour, les contacts sensoriels sont de plus en plus fins, si bien que tout fait entrer en frémissement. Les émotions ne sont plus antagonistes à la voie mais, libérées, elles deviennent au contraire son véhicule. La libre circulation des choses est de moins en moins bloquée par le mental, et la joie jaillit spontanément. L’action est plus immédiate, plus limpide. Il y a plus de lenteur, de grâce, de non-réactivité. La conscience des blocages est rapide, et l’auto-libération des phénomènes plus habituelle.

Dans la relation amoureuse, ou dans la relation à «l’autre», cet «autre» disparaît en nous comme nous disparaissons en lui, dans le même mouvement. Il n’y a donc plus de projections. Reste l’amour, non de quelque chose ou de quelqu’un, mais l’amour tout court. Disons, plus simplement, qu’il y a une reconnaissance presque constante d’être en vie.

L’initiation du tantrika est celle du frémissement de tous les sens, qui retournent ainsi à leur demeure qu’est la Conscience. Pour le tantrika, il n’y a pas de différence entre un rapport sexuel génital et le rapport sensoriel que nous entretenons avec la réalité qui l’entoure. Pour lui, l’activité ne mène pas à la Conscience : elle en procède, et y retourne, après s’être unie à l’objet. Rien ne vient de l’extérieur. La Conscience coule telle une source vers le monde, le touche profondément, en son noyau incandescent et frémissant, et revient à la Conscience dans une circulation continue.
En aucun cas ce n’est un rituel initiatique dans le sens d’un acte magique qui permettrait de goûter à un état de plénitude qui nous ferait défaut. Pour prétendre à l’initiation, il faut avoir réalisé que le désir ne saurait se satisfaire d’un objet, et que l’incandescence est ce qui demeure quand le désir de quelque chose est consumé.


Daniel Odier - Article de Nouvelles Clefs


lundi 25 mai 2009

Pontalis - En toute confiance, la traversée se fait ...

J. B. Pontalis est philosophe, psychanalyste et écrivain.


... Mais que l'analyse (cure psychanalytique) commence et très vite, plus d'histoire lisible, plus de destin déchiffrable. Plus de clé des songes ni de quoi que ce soit. Plus de savoir qui tienne, plus de théorie qui vaille.

Que nous reste-t-il alors ? Une certaine confiance. Confiance en quoi ? en ceci : la traversée, si longue, si éprouvante, si périlleuse qu'elle puisse être, se fera. Traversée des apparences, passage des frontières, traversée du temps, traversée des lieux, des images, des événements du jour et de ces événements de la nuit que sont les rêves, déplacement des souvenirs et des figures imaginaires (en existe-t-il d'autres?), traversée surtout des transferts (deux mots qu'on pourrait tenir pour synonymes).

Traversée pour aller vers quoi, aucune destination n'étant fixée, aucune «représentation-but» assignée et l'incertain trajet se décidant au fur et à mesure ? Si l'inconnu était moins derrière nous - l'insaisissable origine - que devant ? ce que nous ne connaissons pas encore, pour ne pas l'avoir éprouvé, pour ne pas l'avoir trouvé. Si ce que nous attendions secrètement d'une analyse, ce n'était pas qu'elle puisse nous faire naître - fantasme d'auto-engendrement - ou renaître - illusion d’un new beginning - mais qu'elle nous rende capables de nous inventer?

Ne parlons pas de voyage ou d'aventure, trop romanesques... Non, nous pressentons seulement, analyste et patient, qu'une traversée commence, la nôtre, sans trop savoir ce que l'embarcation transporte dans sa cale - trésors et explosifs -, sans disposer d'une table à cartes pour nous assurer que la route suivie est la meilleure, sans garantie que nous arriverons à bon port. Peut-on parler de «direction de la cure» quand on ne sait pas ce qui la dirige?


Jean Bertrand Pontalis - Ce temps qui passe - Editions Folio



mercredi 20 mai 2009

Robert Misrahi - La joie d'amour

Robert Misrahi est philosophe, grand spécialiste de Spinoza. Il a publié de nombreux ouvrages et consacré l'essentiel de son travail à la question du bonheur. Il soutient que le bonheur est "la joie en acte" et qu'il n'y a pas de bonheur sans expérience poétique, ce sentiment poétique des choses.


D'où provient le caractère somptueux de cette joie d'être et d'exister que seul peut conférer l'amour ? C'est que la joie, ici, est induite par une reconnaissance réciproque impliquant des dimensions aussi riches que neuves.
Dans cet amour, la reconnaissance n'est l'affirmation d'aucune suprématie, ni l'allégeance de personne à quiconque. Cette reconnaissance différente comporte deux significations, ou deux noyaux de sens qui concourent à la création de la joie en chacune des consciences concernées.
Dans cette forme intense et réfléchie de l'amour, chacun reconnaît d'abord en l'autre un être semblable à lui-même : l'autre est affirmé semblable à moi dans la mesure où il est comme moi un sujet et dans la mesure où il se situe dans l'existence selon les mêmes perspectives et les mêmes choix fondamentaux que moi-même. J'aime l'autre parce qu'il est un sujet existant semblable à moi-même. Non pas que j'aime en lui mon image, comme dans la passion narcissique, mais j'aime en lui le sujet qu'il est par lui-même en se construisant, comme moi, dans l'existence.

La reconnaissance réciproque opère la même affirmation dans les deux sens, et il se crée ainsi un accord et une communauté active entre les deux consciences. La joie substantielle, ici, provient de la consistance et de la justification que l'autre me confère en m'affirmant comme valeur, et cette joie se redouble par le fait que cet autre qui me pose est le même que moi-même : il est une conscience, comme moi-même, et il opère des choix comparables à mes choix. Mais la richesse de l'amour heureux et réciproque est telle que la reconnaissance d'une similitude des existences s'accompagne sans contradiction de l'affirmation et de la reconnaissance de l'autre comme autre : il est affirmé par moi comme sujet autonome et indépendant. L’être aimé est ainsi reconnu, désiré et admiré dans sa spécificité, dans sa singularité individuelle. Il est, en outre, posé comme être libre qui opère librement, et à sa façon, les mêmes choix que moi-même, confirmant mes choix par les siens et accroissant ma liberté et ma joie par sa joie et par sa liberté. La reconnaissance de la similitude et de l'autonomie de chacun s'accompagne donc d'une seconde forme de la reconnaissance : chacun, dans l'amour généreux et réfléchi affirme la spécificité de l'autre et s'en réjouit.

L'amour est aussi cette admiration généreuse de la personnalité de l'autre qui nous réjouit par sa spécificité même. Sa «différence» est aussi l'objet de notre amour, non pas seulement parce qu'elle est précieuse en elle-même (par ses choix, son style, sa manière d'être), mais aussi parce que cette altérité différente de notre être se tourne néanmoins vers lui pour le reconnaître et l'affirmer.
Chacun devient ainsi plus explicitement l'objet d'une affirmation aimante et valorisante, à la fois dans sa similitude et dans sa différence spécifique. Chacun affirme l'autre dans son identité autre et dans sa similitude existentielle. De là provient cette densité personnelle, cette exaltation vécue comme plénitude et comme signification achevée, ce sentiment dynamique et intense que nous appelons la joie substantielle, et qui est ici la joie d'amour.

De cette joie substantielle le corps n'est pas exclu : ni dans la béatitude, ni dans l'amour existentiel et réfléchi que nous décrivons, on ne saurait concevoir une joie qui ne serait pas l'affirmation simultanée du corps et de l'esprit par la conscience. Mais, dans l'amour, cette conscience de soi est souvent conscience poétique. Sans pouvoir analyser ici les différences et les similitudes entre le langage poétique de l'amour et celui de la mystique, remarquons simplement que le langage amoureux, ou plus exactement la parole amoureuse, est la transmutation poétique du corps des amants et leur insertion dans la totalité cosmique de la nature. Cette poésie, exaltation des corps et des personnes, est la forme extrême de l'expression, et la parole adopte volontiers cette forme d'expression amoureuse parce qu'elle se propose de dire et de transmettre la forme extrême de la joie.


Robert Misrahi - Le bonheur. Essai sur la joie - Editions Hatier



mercredi 13 mai 2009





Le sourire du Bouddha, c'est l'expérience du maintenant.
La fin de la quête pour quelque chose d'autre que ce qui est à l'instant présent.
Dans notre façon courante de penser,
nous pourrions dire « le contentement avec rien ».



Gérard Mantel - La vérité commune du patient et du thérapeute


jmmantel.net


L'idée même d'être un thérapeute crée une séparation entre le thérapeute et son patient. Cette séparation est de la même nature que la maladie qui est sensée être traitée.
Les besoins du thérapeute, qu'ils soient matériels, affectifs, psychologiques ou spirituels, interfèrent avec la manière dont il soigne. Le maintien d'une dépendance entre le thérapeute et son patient en est le résultat.

Le désir de transformer la personnalité est l'expression d'une non-acceptation. Cette non-acceptation est le reflet d'une souffrance. Accepter la personnalité telle qu'elle est n'est pas l'encourager. Accepter la personnalité, c'est s'en détacher. Le détachement est la compréhension que "je" est la conscience qui perçoit la personnalité. La personnalité étant de toutes façons conditionnée, quel intérêt y a-t-il à vouloir la transformer ?

Le violent est violent car il est identifié et attaché à son corps et à sa personnalité. Son système de croyances est son monde. Lâcher cette identité est une forme de mort. Tant que la maturité n'est pas suffisante pour accueillir cette mort comme une délivrance, tous les efforts pour changer la personnalité restent vains.

Le jaloux est jaloux, car il fuit le sentiment de solitude qui le tenaille. En acceptant la solitude comme partie prenante de lui-même, une détente s'installe, et la compréhension s'éclaire.

Le déprimé est prisonnier de ses attentes. Lorsqu'une attente est déçue, il y a dépression. Le désir de guérir la dépression est encore une attente. Voir cela est ne plus fuir. Sans fuite, les choses sont accueillies telles qu'elles sont. Elles perdent alors leur caractère problématique.

Le délirant est convaincu de la véracité de ce qu'il pense. Nous le sommes aussi, tant que nous sommes identifiés au concept "je". Cette identification est la racine du délire qui nous fait prendre pour réel ce qui ne l'est pas. Peut-on soigner le délirant si nous sommes nous-mêmes prisonniers des illusions créées par notre esprit ?

La peur est le fruit de l'anticipation. Sans futur, que reste-t-il à projeter. La lumière n'a pas besoin de projection pour être ce qu'elle est. Être est sans image.

L'obsession reflète une saisie. Le moi se fixe sur un objet, et refuse de lâcher sa proie. Une proie n'est abandonnée que pour une autre proie encore plus séduisante. De proie en proie, c'est la conscience ultime vers lequel le regard finit par se tourner. C'est en elle que la quête s'éteint.

Une seule et même vérité habitent le thérapeute et son patient. C'est cette vérité qui se cherche, et c'est en elle que tous deux se trouvent et se retrouvent.


Retranscription d'un extrait de conférence de Gérard Mantel : "Libération de la souffrance, voie de la non-dualité"



dimanche 3 mai 2009



"Here are fruits, flowers, leaves, and branches, And here is my heart which beats only for you." Paul Verlaine" par **Ally**



Yvan Amar - L’évidence de l’être



Cela s’est passé en trois jours, pendant lesquels j’ai senti progressivement quelque chose que je n’avais jamais senti depuis ma naissance.
J’ai senti la vie. Je suis allé vers ce qui était là et j’ai senti que la vie entrait en moi. Ce sont des expressions toutes simples qui viennent à ce moment-là, mais elles sont absolues. J’ai senti que cette vie m’aimait, comme j’étais, tel que j’étais. C’était comme si elle m’attendait.

J’ai alors compris pourquoi les grands mystiques parlent de la Mère divine : parce que ce sentiment d’amour de la vie envers nous, on l’éprouve dans l’amour absolue d’une mère ; on est dans les bras de la Mère divine. Aucune vision, aucune hallucination, c’était quelque chose de très simple, de concret et d’immédiat, qui me prenait à l’intérieur et que je reconnaissais.
Je sentais que cette vie m’aimait. Au fur et à mesure que c’était ressenti, éprouvé, montait en moi une confiance impérieuse. Autant je me sentais auparavant en conflit, séparé, avec une peur constante, autant j’éprouvais alors une confiance absolue dans ce qui était, dans la vie. Ce qui m’est apparu immédiatement, c’est que cette confiance était ma nature : à la fois cette confiance et son objet.

Cela n’a fait que grandir pendant ces trois jours, jusqu’au moment où s’imposa une confiance absolue dans tout ce qui était sans que ce soit un objet. Alors, tout a disparu : la Mère divine, Yvan Amar… Il n’y avait que Cela : une réalité absolue où n’existait plus ni division ni conflits, où seule existait l’évidence de l’être.



Yvan Amar - L’Effort et la Grâce - Éditions Albin Michel


vendredi 1 mai 2009

L’amour inconditionnel nous regarde
et regarde les murs
le ciel, les arbres,
et tout le reste de la même façon.

L’amour inconditionnel nous aime.
Et il aime tout le monde de la même façon.

Ce n’est pas quelque chose que nous faisons.
C’est ce qui est déjà.

Et nous ne pouvons pas le vivre
Il vit au travers de nous.

Richard Moss