La raison d'être de l'homme, semblable à celle de toutes les créatures, est de rendre visible le Divin dans le monde. Ce qui distingue l'homme, c'est que la grande, la Divine Vie, veut devenir consciente d'elle-même en lui, dans la liberté, briller dans une vie consciente et «prendre une forme».
«L'homme juste» est celui qui manifeste dans le monde, en toute liberté et dans une conscience lumineuse, l'Etre Divin, présent dans son Etre essentiel, qui le manifeste par l'éclat de sa vie intérieure, par le rayonnement de sa façon «d'être là» et par la bénédiction qui accompagne tous ses actes.
L'état qui permet à l'homme de remplir cette mission est celui où l'Etre peut se manifester dans sa plénitude étincelante, dans son ordre intérieur et dans son unité. L'expression complète d'un tel état humain ne se réalise pas d'emblée : elle apparaît d'abord comme une personnalité existentielle qui, étant uniquement dirigée vers l'existence extérieure, empêche la prise de conscience de l'Etre authentique.
C'est pourquoi le démantèlement de cette personnalité extérieure, «naturelle», dont le centre est le petit «moi», est nécessaire. Le «moi » ne se préoccupe que de lui même et de la possibilité d'une existence sans heurts dans le monde. Il ne s'intéresse nullement à une «maturation» possible, issue de l’Etre authentique et ne s’affirme dans le monde que par une conscience tendant à encadrer la vie dans des notions et des principes rigides.
L'homme «se tient» ainsi dans le monde, d'une façon rationnelle, ne maîtrisant ce monde qu'en fonction d'un but et ne l'évaluant qu'en fonction de valeurs fermement établies. C'est précisément l'existence d'une telle attitude qui voile l'Etre dans la conscience.
Le centre de cet état est le «moi» qui fixe et distingue, n'ayant d'intérêt que pour ses propres aspirations existentielles. Par lui, l'homme s'écarte de la communion inconsciente avec l'unité de la Vie, et, avide de s'affirmer, n'ayant confiance qu'en lui-même, il fait, ainsi, face au monde. Cette position rigide entraîne inévitablement la rupture avec l'unité de la Vie et, à la place de cette unité, nous trouvons l'opposition entre le «moi» existentiel et l'Etre essentiel…
Pourtant, l'homme ne peut exister pratiquement que grâce à ce «moi» qui maîtrise le monde au moyen de notions fixes. Il faut donc que l'homme parvienne à développer une «manière d'être» où son «moi» reste préservé, tout en devenant perméable à l'Etre qui transcende les compréhensions du «moi». C'est alors qu'il pourra devenir un homme «authentique» dans le vrai sens du terme, une personne à travers laquelle se manifestera l'Etre dans l'existence.
Atteindre cette forme de «présence» requiert un «exercice » continuel qui exige de comprendre le quotidien comme «pratique spirituelle».
Karl Graf Durckheim - Pratique de la voie intérieure - Le courrier du Livre