Jean Yves Leloup, prêtre orthodoxe transmet dans ce passage un aspect de la tradition de la pratique méditative et de prière de l'hésychasme (paix et silence) en nous situant la place essentielle du cœur dans toute démarche spirituelle.
Avoir un coeur ce n'est pas seulement se centrer sur une partie du corps, c'est une certaine façon d'être, de voir, de respirer avec le coeur. Le propre du coeur c'est de tutoyer toutes choses, de vivre non pas dans un monde d'objets, mais dans un monde de présences. La prière hésychaste a pour but cet éveil du coeur ; cette sensibilité à la présence de Dieu en toutes choses.
Avoir un cœur ; c'est être centré, sortir de la dispersion du mental, des pensées qui vont et qui viennent. Le cœur a une fonction d'intégration de la personnalité - intégrer la fonction vitale et la fonction intellectuelle - d'où cette expérience «faire descendre l'intellect dans le cœur», le pacifier, le centrer, faire du cœur l'organe même de la conscience, une conscience non ratiocinante, plus intuitive qu'analytique, perception globale des êtres et des choses dans leur caractère à la fois fugace et éternel, perception aimante qui permet de mieux «voir» ce qui est.
Par cette «descente» de l'esprit dans le cœur qui n'est pas un mouvement spatiotemporel, mais un acte d'intégration, une façon de centrer la pensée, de cordialiser sa conscience, nous nous rapprochons du cœur du Christ et de son regard «non juge» sur tout ceux qu'II rencontrait. A cette «descente» de l'esprit nous pourrions ajouter la «remontée de l'énergie vitale» dans le cœur, qu'il s'agisse de la pulsion génitale ou d'une autre pulsion.
Le cœur est cette faculté qui va transformer l'élan aveugle de la pulsion en énergie d'amour, la dimension animale de l'homme n'est pas niée mais c'est dans le cœur qu'elle se personnalise, l'homme n'est pas qu'un animal doué de raison, c'est aussi un animal capable d'amour, c'est-à-dire capable de respect, et c'est dans le cœur que la libido accède à cette dimension.
Si le cœur est absent, l'amour n'est que le frottement de deux épidermes, une extase douloureuse de caniches, il n'est pas rencontre de personnes.
Jean Yves Leloup - Ecrits sur l'Hésychasme - Editions Albin Michel