Sylvie Germain est essayiste et romancière. Ce passage nous invite à l'exploration généreuse de la Beauté, dans cette renaissance sensuelle au monde, dans sa force vive, son insolence et dans sa liberté.
L'expérience de la beauté est chaque fois une plongée dans une fontaine de jouvence ; nos sens, notre esprit «renaissent» au monde, des sensations et des intuitions aussi neuves que vivaces les traversent, les aiguisent.
Les artistes, et par excellence les poètes, sont des messagers de la beauté dont ils tentent de transcrire, en mots, en formes, en couleurs, en sons, les mystérieuses inflexions comme les mystiques le font du souffle de l'Esprit.
Mais tous ces messagers savent (ou alors, s'ils l'ignorent, quelle illusion mutilante !) que leurs œuvres ne sont et ne seront jamais que des ombres, aussi cristallines ou flamboyantes soient-elles, projetées par le subit jaillissement de lumière de la beauté qui demeure indicible.
Car la beauté est une force vive que rien ne peut enclore, immobiliser. On ne peut pas davantage capturer un rire que le frisson d'une caresse, le chant perçant d'un oiseau à l'aube que le fabuleux mugissement d'un grand vent, une trouée couleur de myosotis dans un ciel granité d'orage que le chatoiement argenté d'un peuplier, l'odeur d'un feu de ronces que celle d'un tilleul en fleur.
La beauté allie les extrêmes : la plus folle douceur et une pure violence, la sensualité et une chasteté toute de transparence, la fugacité et la puissance, la gravité et la jubilation, la rigueur et une totale liberté, l'insolence et la souveraineté...
Une souveraine insolence : celle qui surgit à l'improviste, crevant l'épaisseur du temps comme une fleur de rocaille d'un jaune éclatant perce et du même coup illumine un mur de pierres grises; une souveraine insolence qui provoque en rafale la surprise, l'admiration, la gratitude à l'égard de la terre, de la vie, et qui dynamise d'un même élan l'étonnement d'être«là», au monde, et le désir d'y croître ; d'y croître et d'y durer dans toute notre gloire de vivants.
C'est cette sève-là, ce souffle si vivifiant, cette ivresse doublée de lucidité, et par-dessus tout une intense capacité à produire de la liberté (pas seulement un sentiment de liberté, mais plus fondamentalement un sens et une intelligence de la liberté) qui fondent la beauté et rendent féconde son insolence. Il n'y a pas d'autre insolence qui vaille.
La liberté qu'offre la beauté est une liberté intérieure, celle qui instaure, ou restaure en nous un lumineux «esprit d'enfance» d'aventure et d'invention, de désir d'être et de partir sans cesse explorer le mystère du temps, de caresser le monde : visible et invisible. C'est celle qui d'un même mouvement nous renvoie à infiniment plus et autre que nous-mêmes et au cœur le plus secret de notre propre personne, là où luit l'absolu de la beauté qu'Augustin a découvert tardivement, mais si passionnément aimé. « Tard je vous ai aimée, Beauté si ancienne et si nouvelle, tard je vous ai aimée. C'est que vous étiez au-dedans de moi, et moi, j'étais hors de moi... »
Sylvie Germain - Songes du Temps - Editions Desclée de Brouwer
L'expérience de la beauté est chaque fois une plongée dans une fontaine de jouvence ; nos sens, notre esprit «renaissent» au monde, des sensations et des intuitions aussi neuves que vivaces les traversent, les aiguisent.
Les artistes, et par excellence les poètes, sont des messagers de la beauté dont ils tentent de transcrire, en mots, en formes, en couleurs, en sons, les mystérieuses inflexions comme les mystiques le font du souffle de l'Esprit.
Mais tous ces messagers savent (ou alors, s'ils l'ignorent, quelle illusion mutilante !) que leurs œuvres ne sont et ne seront jamais que des ombres, aussi cristallines ou flamboyantes soient-elles, projetées par le subit jaillissement de lumière de la beauté qui demeure indicible.
Car la beauté est une force vive que rien ne peut enclore, immobiliser. On ne peut pas davantage capturer un rire que le frisson d'une caresse, le chant perçant d'un oiseau à l'aube que le fabuleux mugissement d'un grand vent, une trouée couleur de myosotis dans un ciel granité d'orage que le chatoiement argenté d'un peuplier, l'odeur d'un feu de ronces que celle d'un tilleul en fleur.
La beauté allie les extrêmes : la plus folle douceur et une pure violence, la sensualité et une chasteté toute de transparence, la fugacité et la puissance, la gravité et la jubilation, la rigueur et une totale liberté, l'insolence et la souveraineté...
Une souveraine insolence : celle qui surgit à l'improviste, crevant l'épaisseur du temps comme une fleur de rocaille d'un jaune éclatant perce et du même coup illumine un mur de pierres grises; une souveraine insolence qui provoque en rafale la surprise, l'admiration, la gratitude à l'égard de la terre, de la vie, et qui dynamise d'un même élan l'étonnement d'être«là», au monde, et le désir d'y croître ; d'y croître et d'y durer dans toute notre gloire de vivants.
C'est cette sève-là, ce souffle si vivifiant, cette ivresse doublée de lucidité, et par-dessus tout une intense capacité à produire de la liberté (pas seulement un sentiment de liberté, mais plus fondamentalement un sens et une intelligence de la liberté) qui fondent la beauté et rendent féconde son insolence. Il n'y a pas d'autre insolence qui vaille.
La liberté qu'offre la beauté est une liberté intérieure, celle qui instaure, ou restaure en nous un lumineux «esprit d'enfance» d'aventure et d'invention, de désir d'être et de partir sans cesse explorer le mystère du temps, de caresser le monde : visible et invisible. C'est celle qui d'un même mouvement nous renvoie à infiniment plus et autre que nous-mêmes et au cœur le plus secret de notre propre personne, là où luit l'absolu de la beauté qu'Augustin a découvert tardivement, mais si passionnément aimé. « Tard je vous ai aimée, Beauté si ancienne et si nouvelle, tard je vous ai aimée. C'est que vous étiez au-dedans de moi, et moi, j'étais hors de moi... »
Sylvie Germain - Songes du Temps - Editions Desclée de Brouwer