lundi 25 mai 2009

Pontalis - En toute confiance, la traversée se fait ...

J. B. Pontalis est philosophe, psychanalyste et écrivain.


... Mais que l'analyse (cure psychanalytique) commence et très vite, plus d'histoire lisible, plus de destin déchiffrable. Plus de clé des songes ni de quoi que ce soit. Plus de savoir qui tienne, plus de théorie qui vaille.

Que nous reste-t-il alors ? Une certaine confiance. Confiance en quoi ? en ceci : la traversée, si longue, si éprouvante, si périlleuse qu'elle puisse être, se fera. Traversée des apparences, passage des frontières, traversée du temps, traversée des lieux, des images, des événements du jour et de ces événements de la nuit que sont les rêves, déplacement des souvenirs et des figures imaginaires (en existe-t-il d'autres?), traversée surtout des transferts (deux mots qu'on pourrait tenir pour synonymes).

Traversée pour aller vers quoi, aucune destination n'étant fixée, aucune «représentation-but» assignée et l'incertain trajet se décidant au fur et à mesure ? Si l'inconnu était moins derrière nous - l'insaisissable origine - que devant ? ce que nous ne connaissons pas encore, pour ne pas l'avoir éprouvé, pour ne pas l'avoir trouvé. Si ce que nous attendions secrètement d'une analyse, ce n'était pas qu'elle puisse nous faire naître - fantasme d'auto-engendrement - ou renaître - illusion d’un new beginning - mais qu'elle nous rende capables de nous inventer?

Ne parlons pas de voyage ou d'aventure, trop romanesques... Non, nous pressentons seulement, analyste et patient, qu'une traversée commence, la nôtre, sans trop savoir ce que l'embarcation transporte dans sa cale - trésors et explosifs -, sans disposer d'une table à cartes pour nous assurer que la route suivie est la meilleure, sans garantie que nous arriverons à bon port. Peut-on parler de «direction de la cure» quand on ne sait pas ce qui la dirige?


Jean Bertrand Pontalis - Ce temps qui passe - Editions Folio