L'état amoureux donne un goût de l’élan ; cet élan qui porte, jette l’être entier en avant vers les bras de l'aimé(e).
J'ose prétendre que si en cet instant, en de multiples endroits du monde, des femmes ne s'élançaient pas vers leurs aimés, des enfants dans les bras d'une mère, d'un père, des amis l'un vers l'autre, des chevreuils vers la source, si cet élan n'était pas à chaque instant tissé de neuf qui jette l'océan à la rencontre de la terre, alors le monde cesserait aussitôt d'exister. Car cet élan est le nerf de la création.
Lève-toi! Marche! Debout! « Mais je suis déjà debout! - Non, mets-toi encore debout dans ce que tu crois être debout! Ouvre les yeux ! - Mais j’ai déjà les yeux ouverts ! - Ouvre les yeux dans les yeux que tu crois avoir ouverts ... » De commencement en commencement jusqu'au commencement qui n'a pas de fin. Un moment, la peur est abrogée, la peur que nous ressentons tous à nous élancer, à nous perdre dans l'amour, à nous anéantir dans un autre. Et pourtant c'est cette expérience - qui dans l'ordre de la logique nous éloigne au maximum de ce que nous sommes - qui nous précipite au cœur de notre être véritable. En me diluant, en me perdant, je me rencontre pour la première fois. Là où je suis le plus loin de ce que je croyais être moi, je suis enfin qui je suis.
Et même si nos amours souvent se terminent en abandon, en trahison, ne prononçons pas de faux serments : «Désormais je n'aimerai plus». Mais tout au contraire, jurons-nous de ne plus jamais aimer avec l'arrière-pensée de garder et de posséder, de ne plus jamais aimer autrement que pour aimer. Sommes-nous des mercenaires pour attendre en retour une solde ?
Aimer est en soi la récompense. Chaque fois que nous aimons, le monde resplendit et jubile. Chaque nœud de bois, chaque pavé sous mon pied, chaque poignée de porte sont des talismans de l'amour! Le monde entier devient un talisman. Je ne suis plus qu'élan, rencontre, reliance. Je suis vivant! Je rayonne de ce qui est, je reflète la splendeur du monde ; entre le cœur du monde et le mien, tout coule de source.
Christiane Singer - Du bon usage des crises - Editions Albin Michel