... Un espace nouveau s'ouvre ; les deux amants s'y précipitent, émerveillés et douloureux de découvrir une cime derrière la cime atteinte, et encore une autre.
Le temps s'anéantit. D'infinis espaces surgissent, qui rendent transparents l'un à l'autre ces deux êtres défaillants et grandis l'un par l'autre ; ils font un instant l'expérience du tout possible dont la réalité fugitive n'appartient qu'au seul état de résurrection, comme si le transport amoureux les transportait en effet en amont de leur exil, ou au-delà de lui, «là où il n'y a plus ni peurs, ni maux, ni tourments, ni soupirs, mais la vie éternelle».
Ce poème, chanté pour nos défunts, ne leur est pas étranger tant ils vivent une mort à ce qui était auparavant banalisation d'un quotidien vide de l'autre pour chacun. Chacun se fait harpe entre les doigts de l'autre pour extraire des deux sons qui s'élèvent une seule musique. Les mystiques en font l'expérience ; porté au registre amoureux, cela est aussi vrai pour deux amants dont les caresses épandues sur les émergences sensibles du corps, mais aussi de l'âme, éveillent un chant, une danse, une extase! Le visage de l'autre reflète la beauté première du monde. Celui - celle - qui s'y plonge est alors revêtu de sa propre infinitude !
Plénitude de l'instant rendu capable d'éternité!
C'est parce qu'il est sauvage que ce feu est sacré.
Le sacré tient de l'archaïsme le plus pur ou des archétypes reconquis.
L'amour est le feu du souffle qui va de l'un à l'autre de ces deux pôles de vie.
Lorsqu'il est partagé dans l'étreinte, il fait tressaillir et chanter le ciel et la terre ...
Annick de Souzenelle - L'arc et la flèche, merveilles de l'Eros - Editions Albin Michel