.... Tout est une question d’air et de respiration. C’est l’encombrement qui nous rend malhabile, et qui nous fait parfois, suffoquer. On a besoin de connaître des choses telles que l’ennui, le manque, l’absence, pour connaître la présence, la joie et l’attention pure. On a besoin d’une chose pour aller vers une autre.
... Je pense que c’est une souffrance que d’avoir tout à sa disposition, sans intervalles. On devient soi-même comme une chose au milieu des choses. Alors qu’on a besoin que certaines vitres de la maison soient cassées. Et que le vent entre ! Besoin de certains défauts, de certains manques, de certaines brisures, pour pouvoir respirer.
... Accepter l’irréparable. Le regarder. Le contempler en tant que tel. Ne pas chercher de consolations illusoires. Ne pas se précipiter pour venir en aide. Mais, d’abord, regarder, et si l’on est devant un mur, le voir. S’il est aussi haut que le ciel, le reconnaître. C’est quelque chose qui amène un profond changement intérieur. Cette « acceptation » n’est pas une résignation, mais une vue. C’est la vue qui guérit, la vision vraie. Pas l’illusion, même si parfois la vérité est que nous n’avons pas de solution. Mais le reconnaître, le formuler, change tout. Comme si savoir que la porte est fermée, et l’accepter, vous la faisait traverser ! Or, la racine de la vue, c’est la contemplation. Et la racine de la contemplation, c’est l’attention.
.... Ma vie ? C’est comme si depuis toujours, j’avançais dans la brume ! Et tout ce que je vois me semble déchirer un voile de néant posé sur le monde. Soudain ça m’apparaît, dans une splendeur ! Je suis sujet à des éblouissements. Ça peut être un visage, un objet. C’est comme si la création du monde était continue, que nous étions contemporains de la création du monde. C’est comme si la création n’était pas une chose à l’arrière de nous, mais exactement en train de se faire.
Christian Bobin - Extraits article Nouvelles Clés -