samedi 26 juin 2010

Eric Baret - Vivre la médiocrité qui révèle l'ultime en nous



Se familiariser avec cette disponibilité aux instants de la vie. Je n'ai pas besoin de changer quoi que ce soit en moi : mes peurs, mon arrogance, mes prétentions, mes limites, tout cela m'est nécessaire pour pressentir le sans-limite.

Tout change, mais aucun changement autre que celui qui apparaît dans l'instant n'est nécessaire. Toutes les énergies qui étaient utilisées pour créer, pour s'approprier, vont aller s'asseoir dans cette disponibilité. Là, il y aura création véritable. Cette création est célébration : une création qui rend grâce, pas une création qui affirme.

La spiritualité est un concept. Ce que les gens projettent dans la prétendue spiritualité, à six ans ils le projetaient dans leur équipe de scouts, à dix dans leur équipe de foot, à vingt dans la politique et à trente dans le mariage ...
Ce manque que l'on a essayé de combler par une poupée, un train électrique, une bonne note à l'école, une carrière, un enfant, on le projette ensuite dans la spiritualité. C'est le pot-pourri de toutes nos peurs. Chacun, selon la forme de ses anxiétés, se trouve attiré par un certain type de spiritualité. Quand c'est présent, il faut le respecter ; mais ce n'est rien d'autre que la peur.

La vraie spiritualité est un remerciement. Maître Eckhart fait une différence entre la vraie prière, prière du cœur, célébration de l'accomplissement divin, et la prière qui vient du manque, qui essaie de demander une rectification. Cette dernière n'est pas une prière, mais une forme d'abcès.

La vraie prière est remerciement. La vraie spiritualité est un non-dynamisme qui s'incarne dans une disponibilité de chaque instant. Quand le cancer, la maladie, la naissance, la violence, l'émotion vient, être disponible : là se trouve la profondeur.

Les scouts, la politique, la spiritualité, l'enfant, l'équipe de rugby ont leur place, sinon cela n'existerait pas. Vouloir se libérer de tous ses problèmes pour devenir spirituel, pour devenir «éveillé», aussi. Ces règles, ces références, ces savoirs sont issus de la peur.
Vient un moment où vous n'avez plus besoin de vous chercher dans les différents courants de la vie. C'est vous qui éclairez la spiritualité, non l'inverse. C'est votre clarté qui vous fait comprendre profondément ce qu'est la politique, la paternité, la violence, la maladie, le bouddhisme, l'islam. Votre clarté éclaire tout cela.

Et, là, il n 'y a plus de mot, plus de direction, de savoir, d'école, de ligne, d'enseignement et, surtout, plus de personne spirituelle. Seule reste une non-séparation.

Comprendre qu'il n'y a rien à comprendre, rien à acquérir. Je n'ai pas besoin d'inventer des outils pour faire face à la vie, de créer des moyens de défense ou d'appropriation pour faire face aux situations.

Regarder honnêtement ce qui est là, ce qui éveille en moi la peur, l'anxiété, la prétention, la défense. Clairement, accepter mes prétentions, mes limites. Ces limites vont refléter la non-limite.

Il faut vivre la médiocrité : elle révèle l'ultime en nous. Quand je refuse la médiocrité, quand j'imagine, que je projette un supérieur ou un inférieur, des choses spirituelles qui devraient me libérer de la vie quotidienne, là, je suis dans un imaginaire. C'est une forme de psychose. La médiocrité est l'essentiel-la médiocrité selon mes concepts.

Fonctionner journellement : manger, dormir, aimer, voir, sentir, regarder. Laisser toutes les émotions vivre en nous. Rien à défendre, à affirmer, à savoir. Je n'ai besoin de rien pour pressentir ce qui est primordial. Inutile de changer quoi que ce soit en moi.

Certaines découvertes sont à faire et à oublier dans l'instant. Et pour la personne, c'est la terreur, car l'ego a besoin de s'approprier des qualifications : être spirituel, méditer, se libérer.


Eric Baret - De l'abadon - Editions Les deux océans