Un bon thérapeute ne regarde pas "seulement" la maladie, mais aussi tout ce qui est en bonne santé chez un malade. L'expression « prendre soin de l'Etre », chez les thérapeutes d'Alexandrie, peut sembler paradoxale. Elle revient à dire : «soigner Dieu dans l'autre». Soigner Dieu ?... Qu'est-ce que cela peut bien signifier ?
Soigner Dieu dans l'autre, c'est croire et expérimenter que l'autre va guérir à partir du point de santé qui est en lui. Quand on parle de la nature de bouddha en nous, il s'agit de ce quelque chose en nous qui n'est pas malade, déjà éveillé, non né, non conditionné.
Nous sommes déjà sauvés, déjà guéris, en bonne santé, mais nous ne le savons pas, nous n'en faisons pas l'expérience. L'expérience du salut (soteria), c'est l’esprit saint en nous.
Ce n'est pas le médecin qui guérit, mais la nature. Le thérapeute, quel qu'il soit, met la personne qui souffre dans les conditions qui permettront à la nature de la soulager.
C'est l'Etre qui guérit de l'intérieur. Cela suppose de la part du thérapeute, ou de celui qui est sur un chemin spirituel - celui qui travaille au bien-être de tous les vivants - de savoir que le bien-être est déjà là, ce n'est donc pas lui qui l'apporte.
Nous devons nous le répéter chaque fois que nous soignons quelqu'un : nous n'allons pas guérir la personne, nous allons simplement créer les dispositions les plus favorables pour que puisse opérer ce qui est sain en elle.
Ce n’est pas nous qui allons apporter ce qu'il y a de plus précieux, car cela se trouve déjà dans la personne. Il y a au milieu de nous quelqu'un que nous ne connaissons pas ; il y a au cœur de nous une dimension de vie, de plénitude, de paix, que nous n'avons jamais goûtée.
Cette considération nous permet de soigner les autres sans désespérer, car le désespoir nous guette sur ce chemin. Quand on voit toutes les souffrances du monde, on se dit qu'on n'y arrivera jamais! Il faut pourtant croire que la santé sera la plus forte, que le bonheur aura le dernier mot ; mais cela suppose une certaine expérience de l'Éveil ou de la libération (soteria) chez celui qui accompagne une personne qui souffre.
Dans la tradition chrétienne, on parle de l'esprit du Christ, de la nature du Christ, de l'être du Christ: «Là où je suis, je veux que vous soyez aussi ... Tout ce que vous faites aux plus petits d'entre les miens, c'est à moi que vous le faites.»
C'est parfaitement clair : quand on fait quelque chose à quelqu'un, on ne le fait pas seulement à ce quelqu'un qui est là, on le fait aussi au Christ qui est en lui, qui est son "Je Suis" essentiel.
Tout être, quel qu'il soit, est porteur de la nature du Christ, de la nature divine. Dans tout être il y a cette Présence de ce qui est libre, de ce qui est sauvé ; on peut alors agir sans être désespéré : quand on fait quelque chose de l'extérieur, cela "coopère" aussi de l'intérieur.
D'où l'importance de la prière dans tous les actes que l'on pose, appeler chez l'autre la Présence, le réveil de son Esprit, parce que c'est de l'intérieur qu'il peut être guéri. Face à certaines maladies mentales difficiles, douloureuses, on sait qu'on ne peut rien de l'extérieur ; tout ce qui est dit ou fait risque au contraire de conforter le délire. Mais on peut appeler à l'intérieur de celui qu'on accompagne, l'Être qui sait le guérir et le sauver : cette forme de prière s’appelle l’intercession.
Jean Yves Leloup - La montagne dans l'océan - Editions Albin Michel