jeudi 10 mars 2011

Fabrice Midal - Laisser le "Ah!" surgir dans la vie

Fabrice Midal est enseignant de la tradition bouddhiste dans la lignée de Chogyam Trungpa. Il est aussi philosophe, écrivain et conférencier.


Ah! ... Il ne s’agit pas du « Ah » des vocalises, ou encore celui d’un cri de peur, mais celui qui peut survenir alors que, perdus dans nos pensées, nous revenons à nous-mêmes. Ce Ah ! marque un léger étonnement. Il survient aussi au moment précis où nous faisons l’épreuve de la vérité comme une sorte de secousse.
Nous lisons un texte, un poème, parlons avec un ami, écoutons un morceau de musique et d’un seul coup quelque chose nous parle d’une manière indiscutable qui nous donne le sentiment que le monde devient plus réel. Quelque chose s’ouvre qui n’est pas construit ou fabriqué — qui n’était pas prévu. Ah !
Le cœur de la voie bouddhique est cette ouverture non décidée qui, reconnue, peut changer entièrement le ton de la situation.

Le sens de la méditation n’est pas de chercher à atteindre un état de calme et de faire de cette décision un nouveau projet. La méditation consiste à être ouvert à ce qui survient pour laisser l’espace nous réveiller. Comprendre cette distinction est sans doute le point le plus important pour découvrir le sens authentique de la pratique de la méditation.

Nous n’avons pas à atteindre un état donné de paix, mais à apprendre à laisser être les moments d’ouverture quand ils surviennent. Et pour ce faire, le chemin consiste à cultiver une attitude d’accueil chaleureux. C’est cet accueil qui est la paix, non l’absence d’agitation et de conflit.

Il existe deux ententes contradictoires de la paix. Une paix qui cherche à éviter tout conflit, tout contraste et nous enferme dans une sorte d’univers cotonneux où nous serions à l’abri. Une telle perspective n’est pas loin de celle qui prétend que nous serons en paix quand nous aurons mis tous les étrangers dehors, quand on aura aboli toute insécurité, que le principe de précaution sera totalement appliqué, que plus rien ne nous fera souffrir. En caricaturant : que l’idéal serait de pouvoir installer un globe au-dessus de nos maisons pour éviter la pluie et tout autre désagrément. Vivre dans un centre commercial à chaque instant. Dans un programme de télévision.

Mais il existe une autre entente de la paix qui accepte qu’il pleuve, qu’il puisse y avoir un moment d’ennui, que les choses ne soient pas exactement comme on le voudrait — autrement dit qui est prête à laisser survenir le « Ah ». Cette paix n’est pas la pétrification de tout conflit, mais l’acceptation du mouvement même de l’existence. Elle ne refuse pas les échecs et les désillusions, les douleurs et les incertitudes mais en fait autant d’occasions de redécouvrir le verso des choses — la dimension musicale de l’espace.

Le Ah ! surgit dans la pratique, dans la vie. Il prend aussi au niveau externe, le visage de ces coïncidences que Jung nommait synchronicités. Ces coïncidences sont des moments où la situation semble d’elle-même faire « Ah », rapproche des gens et des paroles d’une manière fulgurante…

Lorsque le « Ah » surgit, on ne peut pas le prévoir. Soudain quelque chose s’ouvre. La plupart du temps on ne fait pas attention à ce « Ah ». On fait attention aux images qui apparaissent sur l’écran mais on ne voit pas l’écran. On fait attention aux plantes qui poussent dans le jardin, mais on ne voit pas la terre d’où elles surgissent. Le « Ah » est la manière dont l’espace ouvert surgit d’un seul coup.


Fabrice Midal - Extrait de sa Newsletter mars 2011