Une autre parole à « tenir debout» m'a été donnée par quelqu'un qui aimait beaucoup les œuvres de Carlos Castaneda : « Quel que soit ton chemin, quel que soit le chemin que tu prends, demandes toi si ce chemin à un cœur. Tu peux marcher sans carte et sans guide, mais ne marche pas sans boussole! »
II ne s'agit pas seulement de marcher doucement, il s'agit de marcher en étant orienté, en ayant soi-même un point de repère, une boussole.
Par temps de brouillard, par temps difficile, elle nous indique le nord, elle nous oriente, elle nous garde de la désorientation au sens physique du terme. Avoir une boussole, c'est avoir un centre, c'est être centré. Et, pour un être humain, c'est avoir un cœur, non seulement au sens d'organe des sentiments, de l'émotion, ou de l'affection, mais un cœur en tant que lieu d'intégration de tous les éléments de notre personnalité, en tant que centre où notre intelligence et nos pulsions se rejoignent, se réintègrent.
Avoir un cœur, c'est être centré. On peut marcher « avec cœur» ou marcher « sans cœur ». Lorsque le chemin nous est imposé, on n'en profite pas vraiment. Par contre, que l'on se perde ou que l'on s'égare, si le cœur y est, et que l'on marche en sa présence, une lumière est dans la marche.
«Va, va où ton cœur te mène». Aller où notre cœur nous mène est un risque, qui nous conduit parfois dans des impasses, ces « chemins qui ne conduisent nulle part» dont parle le philosophe Heidegger. Ne confondons pas le cœur boussole et le cœur girouette. Sachons quelle est notre boussole et quelle est notre girouette.
Quelle est notre girouette toujours prête à tourner à tous vents?
Pour certains, ce sera la tête, le mental, les pensées qui suivent tous les vents, toutes les modes. Elle indique où va le vent, ce qui se passe peut-être dans le présent, mais elle ne donne pas la direction juste à prendre. Pour d'autres, ce seront les émotions.
Derrière la girouette que nous sommes souvent, il s'agit de retrouver la boussole ; son cœur, son orient, son orientation vers la lumière.
Dans nos vies, le plus difficile, c'est de savoir ce que l'on désire vraiment. Une multitude de désirs nous assaillent et nous désorientent. Quel est notre désir profond? Celui qui nous conduit justement à l'Orient, à la Lumière? Se tenir proche de ce désir, c'est se tenir proche de son propre chemin. « Mieux vaut mourir dans sa propre loi que sous la loi d'autrui», enseigne la Bhagavad-Gîtâ. Mieux vaut mourir selon sa propre loi, sa propre voie et voix - qui nous parle de l'intérieur -, que d'écouter même parfaitement la voix d'un autre. Suivre sa propre voie, même imparfaitement, plutôt que de suivre parfaitement la voie d'un autre, la loi d'un autre.
Avoir une boussole, ce n'est pas découvrir un chemin tout tracé. Plus qu'un chemin, cette marche est une itinérance. Le bonheur est dans la façon de marcher. Il ne s'agit ni de suivre un itinéraire ni d'être dans un état d'errance. L'itinéraire tout tracé risque de nous enfermer et de nous faire passer à côté d'un paysage, d'un trésor, d'une lumière, d'un état de conscience, d'un niveau d'être qui nous était destiné ... Mais il ne s'agit pas non plus d'être dans l'errance, de se faire le jouet de tous les vents, de tous les appels qui viennent d'ici ou de là.
Celui qui marche en suivant sa boussole peut garder le cap, il a reconnu en lui son orient.
Jean Yves Leloup - L'assise et la marche - Editions Albin Michel