vendredi 19 juin 2009

Karlfried Dürckheim - Les sources d'un renouvellement du Moi...

Karlfried Dürckheim évoque dans ce passage l'amour, l'érotisme et la sexualité.



Quel que soit le contexte dans lequel on parle d'amour, il y a toujours la situation suivante : on se sent en séparation avec quelque chose ou quelqu'un avec lequel pourtant on se sent un dans sa profondeur.

L'amour est toujours cette ambiance d'une union et cette poussée vers une union véritable. Dans la mesure où vous êtes capable de vous débarrasser de toutes sortes de choses accessoires, vous entrez de plus en plus dans la Réalité du grand Un. Entrant là dedans, vous entrez en méditation dans un contact universel. Vous ne vous demandez plus alors l'amour «avec qui ?» car c’est un contact avec le «Tout», contact qu’on peut aussi appeler l’Amour.

L'amour est ce quelque chose qui vous embrase, qui vous nettoie, vous donne de la chaleur, qui vous met à l'abri. C'est la découverte de ce que vous ne faites plus par vous-même mais qui vient vers vous. C'est la découverte de bras qui vous embrassent d’une telle façon que vous êtes vous-même capable d'embrasser. C'est cela qui s'ouvre là. Et ce n'est pas le petit «bien faire». C'est l'amour en tant qu'état et non en tant qu'addition de choses que l'on sent bien.

Dans un monastère au Japon, il y avait un maître zen qui passait toute la journée à travers son monastère. Il rendait visite à tout le monde et aussi au cuisinier qui était communiste. Et ce communiste lui dit : «Maître, croyez moi, je ne pense pas du tout à moi. Je pense aux autres. Toujours, en préparant les repas, je me dis qu'il faut que ce soit bien, pour qu'ils aiment ça. Je pense aux autres.» Et un beau jour, il a le courage de demander au maître : «Et vous, maître, à quoi pensez-vous toute la journée? Moi? Mais je ne pense qu'à moi.»
Croyez-moi, ce n'est pas de son ego qu'il parle. Il pense à ce que, lui, il est au fond. Ce que nous sommes tous au fond : une seule chose, une Essence, qui, dès qu'elle nous touche, nous rend chacun capable d'en témoigner à sa façon.

L'amour veut dire que deux deviennent un. C'est toujours la réconciliation de deux pôles. Mais justement si c'est une relation profonde, cette union a comme sens que chacun des deux sort de l'union en étant un peu plus lui-même et gagne en profondeur dans son Moi essentiel. Mais dès que les deux «collent», alors c'en est fini avec la possibilité de développement. Il faut toujours à travers l'union retrouver un Moi plus profond. Le Moi se mêle à l'autre, dans cette union juste qui s'enfante, pour ainsi dire dans une nouvelle personnalité. Grâce à l'amour, l'être devient de plus en plus lui-même. Mais nous connaissons des couples qui sont tellement collés l'un à l'autre que leur développement est en danger, en tant que personne. L'amour doit donner la chance à chacun de devenir de plus en plus lui-même.

La sexualité, c'est le fait que la dualité entre deux personnes soit dépassée, dans l'acte sexuel justement. L'un se fond dans l'autre. Pour un moment, deux ne font plus qu'un. Si la sexualité apporte le fruit qu'elle peut apporter, chacun peut ressentir une grande profondeur. Il y a disparition du moi existentiel dans une réalité qui dépasse l'homme dans son ego. Alors se fondre dans la profondeur de l'acte sexuel peut être la source d'un renouvellement du moi. On n'est plus le même si on a eu le courage de s'éteindre totalement dans l'autre.

Ce qui est beaucoup plus difficile pour l'homme que pour la femme. La femme a le problème de pouvoir s'ouvrir et de pouvoir se lâcher. Pour l'homme c'est le problème de dépasser sa conscience objectivante, c'est-à-dire celle qui fait de l'autre un objet. Il y a très peu d'hommes qui sont capables d'éviter de faire de la femme, au moment de l'amour, un objet de jouissance. En général, l'homme garde toujours une certaine distance, il ne se perd pas totalement dans l'érotisme et même pas dans la sexualité.

Il faut donc bien différencier l'érotisme et la sexualité au sens de «sensuel». Une caresse très fine peut aider à découvrir une profondeur extraordinaire qui est autre chose que l'intensité d'une expérience sexuelle. Il faut faire la différence entre la profondeur d'un sentiment et son intensité. Souvent on ne les distingue pas. Et c'est ce que je vois chez tant de femmes qui viennent me voir, et qui ont été blessées par un manque de subtilité de la caresse de l'homme. Il y a des femmes qui sont mariées depuis vingt ans et qui n'ont jamais été caressées au propre sens du mot.
Une fois, par exemple, je passe ma main, comme une caresse, sur le visage d'une femme pour lui enlever la peur. Elle me dit alors : «Que faites-vous là? Les hommes vous touchent partout mais jamais ils ne vous caressent le visage».

L'érotisme, c'est la caresse, ce toucher très doux que malheureusement beaucoup d'hommes sont incapables de faire. L'érotisme peut avoir une profondeur en éveillant le corps éthérique, qui dépasse absolument la profondeur de la sexualité. L'acte sexuel peut avoir une grande intensité sans profondeur, tandis que la caresse peut avoir une profondeur extraordinaire sans intensité.


Karlfried Dürckheim - L'esprit guide, entretiens - Editions Albin Michel