Le poète aspire à naître et s'engendre par le verbe. Il donne alors son adhésion à la vie. C'est par l'écriture qu'il se construit. Elle est l'instrument d'une métamorphose, d'une difficile autogenèse.
Dans l'univers du poète la plénitude est une difficile conquête jamais définitive.
C'est par le travail de l'écriture qui développe l'acuité, que le poète va descendre en lui-même, devenir le spéléologue, voire l'archéologue de sa propre terre pour tenter de retrouver dans les régions les plus reculées de la mémoire et de l'être la trace de la voie de l'origine. Il se fait explorateur, entreprend des fouilles et part ainsi pour l'aventure intérieure. L'image du séisme traduit cet ébranlement, cette ouverture à soi-même, qui permet la découverte de ses propres profondeurs.
Le poète, tel Orphée, descend dans les entrailles de la terre et, au plus près des secousses telluriques, vit le début d'une indiscernable métamorphose. Cette descente au fond de lui même, de sa terre, le conduit vers le secret des racines.
Pour s'unifier, il faut descendre en soi, s'abîmer. La source, la lueur, sont toujours liées à une descente.
Débarrassé du moi, le poète découvre le centre qui est le neutre ; le masculin et le féminin s’y confondent dans la fusion. Les paroles du poète s’adressent à la mère, à la femme, à la terre.
Souvent la terre l’angoisse comme lorsqu’elle emplit la bouche. Close et obscure alors, elle le laisse sans voix. D’autres fois, elle est marquée d’un sillon, ouverture féminine et ligne inspiratrice à la fois. La terre trace un chemin, propose un accès au rêveur et poète qui cherche en la contemplant la clef de son existence. Elle est alors emplie d’amour. Apprivoisée, elle devient la «déesse-mère» qui s’ouvre et révèle le mystère de la création. La terre est malléable et offre ses fruits à celui qui la travaille et la caresse. De ses entrailles monte une voix qui répond au désir d’amour infini.
Par delà les traces de son histoire personnelle, le poète explorateur entrevoit dans les entrailles de la terre le mystère de l’origine de toute existence. Transformant la langue commune en poème, il accomplit le geste primordial, l’incessant travail qui le fait avancé progressivement dans les profondeurs de sa vie intérieure jusqu’au fond de sa mémoire et de son imaginaire et lui permet de naître à lui même. Il s’enfante et revit.
De sa langue dépouillée et tendue vers l’essentiel, il guide alors tous ceux qui en quête d’eux mêmes recueillent sa parole pour accomplir leur propre chemin.
Entretiens avec Charles Juliet. Editions La passe du vent