Cette façon d'exister aux yeux des autres, d'être quelqu'un, c'est là où ça nous travaille, d'être nous-même… Et vous voyez que d'être nous-même, c'est-à-dire de satisfaire à ces demandes tout à fait profondes en nous, ça nous trahit complètement parce que ça va nous situer en fonction des valeurs ambiantes, en fonction du désir des autres, en fonction du regard des autres.
Pour pouvoir répondre à cette demande tout à fait originaire que j'ai d'avoir ma petite existence, pour répondre à cet appel qui est fondamental, qui est une tâche biologique, je vais me vendre à n'importe quel prix, à n'importe qui, n'importe comment, en fonction de l'intérêt qu'il va y avoir pour moi.
Dans l'espèce de cocon que l'on forme avec soi-même, on retrouve les deux développements de l'imaginaire. D'une part on y retrouve cet « être quelqu'un » (en terme analytique jungien, « persona »), c'est-à-dire finalement « être un masque», qui permet de communiquer, mais dont on ne sait pas trop ce qu'il y a derrière ; qui trompe en même temps et qui nous met dans la dépendance de qui veut bien le reconnaître, l'apprécier, l'estimer, l'évaluer, y réagir.
D'autre part, derrière ça, en dessous et non plus en fonction de l'entourage, mais plus profondément en nous, on trouve ce goût que nous donnent les représentations, que nous donnent les images, c'est-à-dire le goût que nous trouvons à l'image de nous-même et aussi à ce que peuvent être nos conceptions, nos idées, notre attitude devant la vie ...
C'est cela qui va se développer beaucoup plus fort jusqu'à ce qu'on s'aperçoive qu'effectivement nous utilisons nos conceptions de la vie comme des mères de remplacement. Nos conceptions de la vie vont servir à nous porter et c'est pourquoi ça devient quelquefois si rigide, parce qu'on en a absolument besoin. Qu'est-ce que je serais si je ne savais rien? Je serais vraiment dans un grand noir. Alors, il y a tout un système de valeurs, tout un système de représentations qui se construit en fonction du plaisir que ça me donne.
Peut-être pas seulement, mais ça se raccorde à moi et mes choix se raccordent à moi en fonction de ça. Il ne faut pas oublier - c'est une des grandes découvertes de la psychanalyse et du développement de la connaissance de l'être humain aujourd'hui - qu'une idée est avant tout un plaisir.
Une idée, nous l'acceptons ou nous la refusons en fonction de la satisfaction qu'elle nous donne et, quand je dis satisfaction, ça peut être une satisfaction pénible, il y a toute la gamme. Ce qui ne veut pas dire que les idées soient nécessairement fausses ou qu'elles soient nécessairement illusoires, mais nous sommes avec elles en fonction de la satisfaction.
Elie Humbert - La dimension d'aimer - Editions cahiers Jungiens de la Psychanalyse