Qu'est-ce que l'accord de la vie sinon l'alliance de l'être et du non-être? Nous disons que nous allons de la forme à la non-forme c'est-à-dire au vide, tout en nous rendant bien compte qu'il est presque impossible de concevoir un vide qui que soit pas une forme. De même nous sommes dans le temps et l'espace et pourtant nous concevons qu'il existe un point stable, c'est-à-dire un présent permanent.
Autrement dit toute approche de la connaissance est un paradoxe permanent, l'investigation du champ des Possibles par l'idée, l'imaginaire ou le mouvement. Et quoi que nous fassions il est évident que nous ne serons jamais que les danseurs éternels de cet être et de ce non-être, et que faute de pouvoir le dire, le vivre ou l'exprimer nous allons néanmoins tenter ce prodigieux voyage qui, au-delà des fascinations intérieures, conduit à ce qui est, nous accorde au rythme, au souffle, à l'esprit universel, laissant en quelque sorte chanter et danser l'espace, le temps, le mouvement. Alors se dessine la perception d'une autre dimension que nous pourrions nommer l'ivresse de la non-séparation.
C'est ainsi que, par cette fusion créatrice, l'homme est sans cesse dans le devenir, dans le monde de l'étonnement, dans le voyage de ces consciences éveillées qui tout à coup savent ce qu'elles croyaient ne pas savoir. II y a là un prodigieux apprentissage, une fête de l'esprit, une liberté dans la liberté. II y a là le bonheur de découvrir la grâce éternelle du vivant qui est «amour» au sens où les dualités, les peurs et les oppositions s'effacent.
Nous parlons toujours de l'œuvre à faire, en oubliant que nous sommes nous-mêmes le «GrandŒuvre», que la transmutation alchimique de nos énergies, de nos facultés et de nos pensées est le but même du vivant en action en nous. Tant et si bien qu'on peut dire que la mort est l'opposition consciente ou non au rythme universel qui en nous désire l'éclairement, l'apparition de ce soleil d'or qu'est notre conscience éveillée au sens où elle est libre de toutes angoisses, au sens où elle chante par toutes les formes de l'être l'incessante ivresse du vivant.
Nous avons ancré dans notre esprit l'éternelle litanie des termes contraires : le haut et le bas, le bien et le mal, le conscient et l'inconscient, etc.
Or si la connaissance n'est pas fusion nous ne pouvons rien faire, nous resterons à jamais dans la loi de la causalité, de l'accident, donc de la souffrance. C'est un vieux manichéisme occidental qui nous dit que la souffrance est nécessaire au salut. La souffrance existe comme résultat et conséquence de ce qui est séparé et divisé en nous, des idées que nous nous faisons sur l'ombre et la lumière. Mais la souffrance elle-même est effacée, quand la danse de ce qui est apparaît, quand le «corps de lumière» comme diraient les maîtres soufis, se manifeste comme un corps-conscience, c'est-à-dire une conscience ouverte, sans limite, et qui sait intuitivement ce qui ne peut se concevoir.
Alors est effectivement réalisé ce «corps d'or» c'est-à-dire ce corps où toutes les énergies se sont accordées, et où il n'existe plus ni ciel ni terre, ni haut ni bas, mais la danse et la manifestation indéfinie et incessante de l'être et du non-être.
Michel Random - Préface du livre de G. Brunon. Editions Savoir Etre