dimanche 6 avril 2008

Mario Mercier - Contempler ...

Mario Mercier est auteur, poète, peintre, initié aux mystères du chamanisme. Ce "journal", a été écrit en solitaire dans la montagne, dans une plongée en lui même en complicité totale avec la nature. Dans cet extrait, il évoque la puissance énergétique du regard en contemplation.


Il existe aussi une médecine de la contemplation active, contemplation fondée sur les choses belles et fortes et qui permet d'en recevoir l'essence bénéfique.

Devant moi est posée sur la table une poire que j'ai cueillie dans mon verger. Elle est fraîche, d'un beau jaune doux et sent bon. En la contemplant ou en la considérant, mon regard absorbe la forme du fruit qui m'apporte une certaine quiétude due à sa douce couleur et à ses tendres arrondis. Puis il s'enfonce dans sa chair juteuse, ce qui a pour effet d'humecter ma pensée d'une saveur bienfaisante. Car l'effet du regard qui est réceptif et émetteur est important. Il procède du plus profond de soi et porte la vibration de notre nature profonde. Il faut savoir le laisser aller sur les êtres et les choses avec la légèreté d'un papillon qui vague sur les fleurs, et parfois lui donner à ce regard un «pénétrant» semblable à celui que produit la percussion d'un son.
Le regard influence l'esprit et la matière comme il est influencé par eux. Lorsque je pratique l'art de la contemplation des montagnes, je ne recueille pas seulement de leur énergie immobile, apparemment immobile, mais je réveille aussi la leur. Je réveille cette énergie parce qu'elle est «vue» et habitée par ma pensée qui, en se projetant sur ces montagnes, les humanise de mon émotion.
En même temps, cette énergie que j'ai réveillée me réveille à mon tour. Je prends alors la densité et la puissance d'une montagne à mon degré d'homme. Pas seulement ! Je développe aussi une sorte de flair ancestral de la nature. À son contact, ma peau et mon sang changent, car la montagne a pouvoir de réverbérer en ceux qui l'aiment, la vivent, la contemplent, ses qualités d'impassibilité, de puissance et de grandeur. La contemplation de la neige revirginise l'esprit, mais, trop poussée, cette contemplation risque de troubler les sens. Cela varie selon les possibilités de chacun. Tout est question de mesure.
Même chose en amour. Aimer, c'est aussi être plein de la contemplation de l'autre. Si cet autre, pour une raison quelconque, provoque une rupture, cela créera un arrachement douloureux de substance émotionnelle pour la personne qui en sera la victime. Car l'amour d'un couple crée un troisième être; être autonome et pourtant relié à l'un et à l'autre par des fils fluidiques et vibrants. La personne qui sera victime de cette séparation vivra désormais - si son amour reste toujours intense - avec un grand trou dans la poitrine, d'où ne cessera de s'épandre toute l'énergie affective qui y aura été accumulée. Ce trou, cette béance, mettra des années à se refermer -sept ans environ - et laissera cependant une marque cicatricielle ineffaçable, qu'un choc affectif similaire pourra raviver. C'est pour cela que tous les risques sont pris lorsqu'on soumet tout son amour à un seul être, car personne ne peut dire qu'il connaît son coeur de demain. Étendre son amour à l'Universel préserve des risques d'un amour qui n'est limité qu'à une ou à quelques personnes.


Mario Mercier - Journal d'un chaman - Editions Blanc Silex