dimanche 27 janvier 2008

Thierry Vissac "Être avec ce qui est"

J'ai trouvé ce texte sur le site de Thierry Vissac, que je ne connais pas. Il pose la remarque d'une des dérive du cheminement spirituel, quand il devient "fuite de soi même" et évitement de la réalité.

Extrait. La totalité est sur le site : http://www.istenqs.org

Je vous propose ce soir un regard particulier sur la quête spirituelle.
Je veux parler de la quête spirituelle en tant qu’une possible fuite de soi.
A l’origine de la quête, on trouve un besoin de s’améliorer, peut-être même de devenir quelqu’un d’autre, d’accéder à une grâce ou un état particulier. Pour réaliser ces objectifs, le chercheur spirituel – celui que nous allons appeler ce soir le chercheur spirituel – utilise des outils.
Les outils de la quête, nous les connaissons : ce sont les méditations, les rituels ainsi que nos croyances, nos certitudes, et les pratiques en tous genres.
Il se trouve que toutes ces choses constituent facilement des paravents devant la réalité que le chercheur spirituel dit rechercher. Et cela parce que cette réalité se trouve en fait ici et tout de suite. Les démarches spirituelles créent une distance avec cette réalité immédiate.
On peut dire que les pratiques et les méthodes mettent le chercheur hors de lui.
C’est en fait moins les méthodes elles-mêmes que je dénonce que ce que le chercheur spirituel en a fait. Cette quête excentrique – qui éloigne du centre – a fini par étouffer la possibilité d’une véritable rencontre avec soi. L’ambition spirituelle du chercheur a étouffé la simplicité d’être, l’espérance véritable à l’origine de toutes ces quêtes.
Ce que nous allons voir, c’est qu’à l’origine de cette fuite de soi on trouve une peur, une terreur fondamentale, avec laquelle il est impossible de négocier.
Les mots que je vais prononcer ce soir pour désigner cette peur à l’origine de la fuite, s’ils sont reçus par le mental, n’auront aucun pouvoir. Mais il est possible de porter un regard sur cette origine de nos quêtes, comme je vous invite à le faire dès maintenant, si vous envisagez que ce regard amène également une rencontre, fruit véritable de nos recherches et nos démarches dispersées.
Je suis conscient du fait que ce regard peut apparaître un peu "destructeur", au départ, mais je vous invite à l’accueillir parce que je le crois salutaire malgré les nombreux échafaudages qu’il va effondrer.

La peur est donc au départ de la quête spirituelle.
Il est maintenant intéressant de voir comment tous les artifices créés sur cette base, et que nous remettons rarement en question, se sont solidifiés au point que la rencontre éventuelle avec ce qui est, ici, tout de suite, ce qui s’anime en soi, à cet instant, a pu devenir inacceptable ; comment les artifices de la quête spirituelle ont pu conduire le chercheur à déterminer que certaines des choses qui s’animent en lui ne sont "raisonnablement pas spirituelles" et comment, en conséquence, l’objet de la quête spirituelle s’est éloigné de ce centre vivant que nous sommes, pour être transposé vers une destination mythique.
A partir du moment où un objectif est créé, qu’il s’agisse d’obtenir du pouvoir, du sexe, de l’argent ou l’éveil spirituel, nous sommes dans une démarche qui risque de nous éloigner de notre condition naturelle, de la simplicité d’être qui est le véritable fruit et la véritable aspiration de notre quête spirituelle. C’est pourquoi on peut constater aujourd’hui que de nombreux chercheurs spirituels ont le sentiment de tourner en rond. Ce autour de quoi les chercheurs tournent, c’est eux-mêmes.
La rencontre avec soi se fait en dehors de toute tentative de contrôle ou de maîtrise. Mais le chercheur spirituel aime les chemins balisés, il aime avoir une idée de sa destination. L’idée d’une rencontre avec soi, d’un accomplissement spirituel qui produirait la joie, le bonheur, le bien-être, et dont les étapes seraient clairement balisées… cette idée vient du chercheur, c’est une construction du chercheur. Et c'est la peur qui produit le désir de maîtriser la situation. On parle d’ailleurs beaucoup en terme de maîtrise dans les cercles spirituels. Au lieu de s’engager véritablement à une rencontre, on crée une nouvelle destination, plus loin, qui n’est que la continuité de la fuite. Et le chercheur agit ainsi parce qu’il souhaite matérialiser ses fantasmes et préserver ses objectifs erronés.
Je crois que cette rencontre, ce soir, nous offre une possibilité de faire l’expérience directe de cette fuite en même temps que la possibilité d'un retour à soi. Nous allons le faire d’une manière vivante parce que, bien que tout cela soit intellectuellement compréhensible et peut-être acceptable pour beaucoup d’entre vous, la fuite reste malgré tout une activité naturelle du chercheur jusque dans des automatismes invisibles, même pour des personnes attentives. Si nous portons l’attention sur les automatismes et les protections du chercheur spirituel - c'est-à-dire tous les paravents qui empêchent la rencontre avec soi -, vous allez nécessairement vous sentir un peu bousculés. Vous devez donc vous préparer à des crispations et des irritations. Maintenant, dans l’instant de l'émergence d’une crispation, vous êtes devant une nouvelle possibilité. Vous pouvez "être avec" cette crispation, en vous-même, plutôt que de chercher à la résoudre en désignant un coupable ou en cherchant un soulagement partout ailleurs.
Le chercheur évite toujours quelque chose, et ce quelque chose, c’est lui-même. Ce lui-même est souvent inacceptable. C’est cet inacceptable qui est l’objet de notre regard ce soir. Quand je parle de soi, ici, notez que je ne mets pas de "S" majuscule ou minuscule à ce terme, parce que ces orthographes sont des images préfabriquées de la réalité soi.
La seule réalité que l'on puisse désigner à un instant donné, c’est ce qui s’anime, ici et tout de suite. La complication spirituelle fondamentale se trouve dans le fait de placer des paravents et des protections devant cette réalité immédiate. Nous allons donc veiller à éviter l’utilisation des lieux communs spirituels et de toutes les formules que nous connaissons par cœur et que nous avons adoptés au point de les prendre pour des accomplissements spirituels. Les mots, bien sûr, ne sont que des mots qui peuvent pointer dans une certaine direction mais ils ne sont pas la direction qu’ils montrent. Certaines écoles spirituelles sont championnes de l’adhésion intellectuelle présentée comme un accomplissement spirituel. L’objectif véritable de la quête spirituelle se perd en fait dans les mots.

Une question simple va nous permettre d’observer à quelle distance nous nous tenons de "ce qui est". L’espace qui va se déployer entre le moment de la question et le moment de la réponse représente à peu près l'espace de la fuite.
Il s’agit d’une question que je vais poser à l’un d’entre vous afin de déterminer notre capacité à être en relation directe avec ce qui est, ici, tout de suite. La question est : "Pouvez-vous me dire ce que vous ressentez en cet instant ?"
Une réponse : « Je ressens la vie. »
Tout à l’heure (partie de l'échange supprimée dans ce texte), vous avez exprimé une frustration : Je suis souvent emporté. Je suis dans une course, et je voudrais que ça s’arrête. C’était il y a quelques minutes, c’était vivant, bien qu’un peu désagréable pour vous. Et voilà qu’avec ma question, tout semble avoir disparu. Je ne dis pas que la vie dont vous parlez n’existe pas mais que cette chose plus agréable que vous mettez en avant pourrait bien servir à éviter la seule réalité, ce qui est, et que vous jugez désagréable. Cette image de la vie en vous serait alors un paravent. Cet exemple peut illustrer un mouvement de fuite qui mérite notre attention.
Le chercheur vise à contourner ce qui s’anime ici, tout de suite, parce qu'il le refuse, au nom de la spiritualité ou d'une image de lui-même qu'il souhaiterait accomplir. Vous aviez compris intellectuellement tout à l’heure le concept de la fuite dont je parlais. Vous venez de le voir en direct. Ma proposition : ne contournez plus et essayez d’être avec ce que vous contournez habituellement, au moins dans l’instant de cette rencontre plutôt que de tenter de favoriser des états imaginaires.
Être avec plutôt que faire avec ou éviter. Être avec.
En parlant de la vie, vous parlez de quelque chose qui existe en vous, mais qui pourrait ne pas être une réalité vivante, en particulier si vous niez quelque chose d’autre. La vie ne fait pas de tri. C’est le chercheur spirituel qui fait un tri. Il fait son tri du bon et du mauvais à partir de ses vues spirituelles, de ses constructions.

Thierry Vissac